Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/396

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dix heures. Un crépuscule de juillet et une lune magnifique apportaient leurs nuageuses clartés. Des bouffées de parfums mélangés caressaient l’âme, la comtesse faisait tintinnuler dans sa main les cinq pièces d’or d’un faux commissionnaire en modes, autre compère d’Octave, qu’un juge, monsieur Popinot, lui avait trouvé.

— « Gagner sa vie en s’amusant, dit-elle, être libre, quand les hommes, armés de leurs lois, ont voulu nous faire esclaves ! Oh ! chaque samedi j’ai des accès d’orgueil. Enfin, j’aime les pièces d’or de monsieur Gaudissart autant que lord Byron, votre Sosie, aimait celles de Murray. — Ceci n’est guère le rôle d’une femme, repris-je. — Bah ! suis-je une femme ? Je suis un garçon doué d’une âme tendre, voilà tout ; un garçon qu’aucune femme ne peut tourmenter… — Votre vie est une négation de tout votre être, répondis-je. Comment, vous pour qui Dieu dépensa ses plus curieux trésors d’amour et de beauté, ne désirez-vous pas parfois… — Quoi ? dit-elle, assez inquiète d’une phrase qui, pour la première fois, démentait mon rôle. — Un joli enfant à cheveux bouclés, allant, venant parmi ces fleurs, comme une fleur de vie et d’amour, vous criant : « Maman !… » J’attendis une réponse. Un silence un peu trop prolongé me fit apercevoir le terrible effet de mes paroles que l’obscurité m’avait caché. Inclinée sur son divan, la comtesse était non pas évanouie, mais froidie par une attaque nerveuse dont le premier frémissement, doux comme tout ce qui émanait d’elle, avait ressemblé, dit-elle plus tard, à l’envahissement du plus subtil des poisons. J’appelai madame Gobain, qui vint et emporta sa maîtresse, la mit sur son lit, la délaça, la déshabilla, la rendit non pas à la vie, mais au sentiment d’une horrible douleur. Je me promenais en pleurant dans l’allée qui longeait le pavillon, en doutant du succès. Je voulais résigner ce rôle d’oiseleur, si imprudemment accepté. Madame Gobain, qui descendit et me trouva le visage baigné de larmes, remonta promptement pour dire à la comtesse : — « Madame, que s’est-il donc passé ? monsieur Maurice pleure à chaudes larmes et comme un enfant ? » Stimulée par la dangereuse interprétation que pouvait recevoir notre mutuelle attitude, elle trouva des forces surhumaines, prit un peignoir, redescendit et vint à moi. — « Vous n’êtes pas la cause de cette crise, me dit-elle ; je suis sujette à des spasmes, des espèces de crampes au cœur !… — Et vous voulez me taire vos chagrins ?… lui dis-je en essuyant mes larmes et avec cette voix