Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/560

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beau jeune homme. Devenu presque ignoble de tournure et de maintien, Georges annonçait bien des désastres en amour et une vie de débauches continuelles par un teint couperosé, par des traits grossis et comme vineux. Les yeux avaient perdu ce brillant, cette vivacité de la jeunesse que les habitudes sages ou studieuses ont le pouvoir de maintenir. Georges, vêtu comme un homme insouciant de sa mise, portait un pantalon à sous-pieds, mais flétri, dont la façon voulait des bottes vernies. Ses bottes à semelles épaisses, mal cirées, étaient âgées de plus de trois trimestres ; ce qui, à Paris, équivaut à trois ans ailleurs. Un gilet fané, une cravate nouée avec prétention, quoique ce fût un vieux foulard, accusaient l’espèce de détresse cachée à laquelle un ancien élégant peut se trouver en proie. Enfin Georges se montrait à cette heure matinale en habit au lieu d’être en redingote, diagnostic d’une réelle misère ! Cet habit, qui devait avoir vu plus d’un bal, avait passé, comme son maître, de l’opulence qu’il représentait jadis, à un travail journalier. Les coutures du drap noir offraient des lignes blanchâtres, le col était graisseux, l’usure avait découpé les bouts de manche en dents de loup. Et Georges osait attirer l’attention par des gants jaunes, un peu salis à la vérité, sur l’un desquels une bague à la chevalière se dessinait en noir. Autour de la cravate, passée dans un anneau d’or prétentieux, se tortillait une chaîne de soie figurant des cheveux et à laquelle tenait sans doute une montre. Son chapeau, quoique mis assez crânement, révélait plus que tous ces symptômes la misère de l’homme hors d’état de donner seize francs à un chapelier, quand il est forcé de vivre au jour le jour. L’ancien amant de cœur de Florentine agitait une canne à pomme de vermeil ciselée, mais horriblement bossuée. Le pantalon bleu, le gilet d’étoffe dite écossaise, la cravate de soie bleu de ciel, et la chemise de calicot rayé de bandes roses, exprimaient au milieu de tant de ruines un tel désir de paraître, que ce contraste formait non-seulement un spectacle, mais encore un enseignement.

— Et c’est là Georges !… se dit intérieurement Oscar. Un homme que j’ai laissé riche de trente mille livres de rentes.

— Monsieur de Pierrotin a-t-il encore une place dans le coupé ? répondit ironiquement Georges.

— Non, mon coupé est pris par un pair de France, le gendre de monsieur Moreau, monsieur le baron de Canalis, sa femme et sa belle-mère. Il ne me reste qu’une place d’intérieur.