Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/157

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cession de leurs parents. Ennuyés au logis, ces jeunes gens ne trouvèrent aucun élément de distraction en ville ; et comme, suivant un mot du pays, il faut que jeunesse jette sa gourme, ils firent leurs farces aux dépens de la ville même. Il leur fut bien difficile d’opérer en plein jour, ils eussent été reconnus ; et, la coupe de leurs crimes une fois comblée, ils auraient fini par être traduits, à la première peccadille un peu trop forte, en police correctionnelle ; ils choisirent donc assez judicieusement la nuit pour faire leurs mauvais tours. Ainsi dans ces vieux restes de tant de civilisations diverses disparues, brilla comme une dernière flamme un vestige de l’esprit de drôlerie qui distinguait les anciennes mœurs. Ces jeunes gens s’amusèrent comme jadis s’amusaient Charles IX et ses courtisans, Henri V et ses compagnons, et comme on s’amusa jadis dans beaucoup de villes de province. Une fois confédérés par la nécessité de s’entr’aider, de se défendre, et d’inventer des tours plaisants, il se développa chez eux, par le choc des idées, cette somme de malignité que comporte la jeunesse et qui s’observe jusque dans les animaux. La confédération leur donna de plus les petits plaisirs que procure le mystère d’une conspiration permanente. Ils se nommèrent les Chevaliers de la Désœuvrance. Pendant le jour, ces jeunes singes étaient de petits saints, ils affectaient tous d’être extrêmement tranquilles ; et, d’ailleurs, ils dormaient assez tard après les nuits pendant lesquelles ils avaient accompli quelque méchante œuvre. Les Chevaliers de la Désœuvrance commencèrent par des farces vulgaires, comme de décrocher et de changer des enseignes, de sonner aux portes, de précipiter avec fracas un tonneau oublié par quelqu’un à sa porte dans la cave du voisin, alors réveillé par un bruit qui faisait croire à l’explosion d’une mine. À Issoudun comme dans beaucoup de villes, on descend à la cave par une trappe dont la bouche placée à l’entrée de la maison est recouverte d’une forte planche à charnières, avec un gros cadenas pour fermeture. Ces nouveaux Mauvais-Garcons n’étaient pas encore sortis, vers la fin de 1816, des plaisanteries que font dans toutes les provinces les gamins et les jeunes gens. Mais en janvier 1817, l’Ordre de la Désœuvrance eut un Grand-Maître, et se distingua par des tours qui, jusqu’en 1823, répandirent une sorte de terreur dans Issoudun, ou du moins en tinrent les artisans et la bourgeoisie en de continuelles alarmes.

Ce chef fut un certain Maxence Gilet, appelé plus simplement