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LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

conseille de rester, tu resteras. Quant à ta place, nous en trouverons toujours l’équivalent…

— Mon cher, dit madame Hochon à Joseph en sortant de table, je ne sais pas ce que sont les tableaux de votre oncle, mais ils doivent être bons, à en juger par les endroits d’où ils viennent. S’ils valent seulement quarante mille francs, mille francs par tableau, n’en dites rien à personne. Quoique mes petits-enfants soient discrets et bien élevés, ils pourraient, sans y entendre malice, parler de cette prétendue trouvaille, tout Issoudun le saurait et il ne faut pas que nos adversaires s’en doutent. Vous vous conduisez comme un enfant !…

En effet, à midi, bien des personnes dans Issoudun, et surtout Maxence Gilet, furent instruits de cette opinion qui eut pour effet de faire rechercher tous les vieux tableaux auxquels on ne songeait pas, et de faire mettre en évidence des croûtes exécrables. Max se repentit d’avoir poussé le vieillard à donner les tableaux, et sa rage contre les héritiers, en apprenant le plan du vieil Hochon, s’accrut de ce qu’il appela sa bêtise. L’influence religieuse sur un être faible était la seule chose à craindre. Aussi l’avis donné par ses deux amis confirma-t-il Maxence Gilet dans sa résolution de capitaliser tous les contrats de Rouget, et d’emprunter sur ses propriétés afin d’opérer le plus promptement possible un placement dans la rente ; mais il regarda comme plus urgent encore de renvoyer les Parisiens. Or le génie des Mascarille et des Scapin n’eût pas facilement résolu ce problème.

Flore, conseillée par Max, prétendit que monsieur se fatiguait beaucoup trop dans ses promenades à pied, il devait à son âge aller en voiture. Ce prétexte fut nécessité par l’obligation de se rendre, à l’insu du pays, à Bourges, à Vierzon, à Châteauroux, à Vatan, dans tous les endroits où le projet de réaliser les placements du bonhomme forcerait Rouget, Flore et Max à se transporter. À la fin de cette semaine donc, tout Issoudun fut surpris en apprenant que le bonhomme Rouget était allé chercher une voiture à Bourges, mesure qui fut justifiée par les Chevaliers de la Désœuvrance dans un sens favorable à la Rabouilleuse. Flore et Rouget achetèrent un effroyable berlingot à vitrages fallacieux, à rideaux de cuir crevassés, âgé de vingt-deux ans et de neuf campagnes, provenant d’une vente après le décès d’un colonel ami du Grand-Maréchal Bertrand, et qui, pendant l’absence de ce fidèle compagnon de l’Empereur, s’était chargé d’en surveiller les propriétés en Berry. Ce