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LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

alla prendre Philippe à la prison de la Cour des Pairs, et l’emmena chez lui, rue de Béthizy. Là, le jeune avoué fit à l’affreux soudard un de ces sermons sans réplique dans lesquels les avoués jugent les choses à leur véritable valeur, en se servant de termes crus pour estimer la conduite, pour analyser et réduire à leur plus simple expression les sentiments des clients auxquels ils s’intéressent assez pour les sermonner. Après avoir aplati l’officier d’ordonnance de l’Empereur en lui reprochant ses dissipations insensées, les malheurs de sa mère et la mort de la vieille Descoings, il lui raconta l’état des choses à Issoudun, en les lui éclairant à sa manière et pénétrant à fond dans le plan et dans le caractère de Maxence Gilet et de la Rabouilleuse.

Doué d’une compréhension très alerte en ce genre, le condamné politique écouta beaucoup mieux cette partie de la mercuriale de Desroches que la première.

— Cela étant, dit l’avoué, vous pouvez réparer ce qui est réparable dans les torts que vous avez faits à votre excellente famille, car vous ne pouvez rendre la vie à la pauvre femme à qui vous avez donné le coup de la mort ; mais vous seul pouvez…

— Et comment faire ? demanda Philippe.

— J’ai obtenu de vous faire donner Issoudun pour résidence au lieu d’Autun.

Le visage de Philippe si amaigri, devenu presque sinistre, labouré par les maladies, par les souffrances et par les privations, fut rapidement illuminé par un éclair de joie.

— Vous seul pouvez, dis-je, rattraper la succession de votre oncle Rouget, déjà peut-être à moitié dans la gueule de ce loup nommé Gilet, reprit Desroches. Vous connaissez tous les détails, à vous maintenant d’agir en conséquence. Je ne vous trace point de plan, je n’ai pas d’idée à ce sujet, d’ailleurs, tout se modifie sur le terrain. Vous avez affaire à forte partie, le gaillard est plein d’astuce, et la manière dont il voulait rattraper les tableaux donnés par votre oncle à Joseph, l’audace avec laquelle il a mis un crime sur le dos de votre pauvre frère annoncent un adversaire capable de tout. Ainsi, soyez prudent, et tâchez d’être sage par calcul, si vous ne pouvez pas l’être par tempérament. Sans en rien dire à Joseph dont la fierté d’artiste se serait révoltée, j’ai renvoyé les tableaux à monsieur Hochon en lui écrivant de ne les remettre qu’à vous. Ce Maxence Gilet est brave…