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LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

si vous voulez, que les instances et surtout les tendresses de Flore avaient fait naître, une fois qu’il s’était trouvé seul avec lui-même.

— Nous nous battrons, dit-il au capitaine Renard, et à mort ! Ainsi, ne me parlez plus de rien, laissez-moi bien jouer mon rôle.

Après ce dernier mot prononcé d’un ton fébrile, les trois bonapartistes revinrent se mêler au groupe des officiers. Max, le premier, salua Philippe Bridau qui lui rendit son salut en échangeant avec lui le plus froid regard.

— Allons, messieurs, à table, fit le commandant Potel.

— Buvons à la gloire impérissable du petit Tondu, qui maintenant est dans le paradis des Braves, s’écria Renard.

En sentant que la contenance serait moins embarrassante à table, chacun comprit l’intention du petit capitaine de voltigeurs. On se précipita dans la longue salle basse du restaurant Lacroix, dont les fenêtres donnaient sur le marché. Chaque convive se plaça promptement à table, où, comme l’avait demandé Philippe, les deux adversaires se trouvèrent en face l’un de l’autre. Plusieurs jeunes gens de la ville, et surtout des ex-Chevaliers de la Désœuvrance, assez inquiets de ce qui devait se passer à ce banquet, se promenèrent en s’entretenant de la situation critique où Philippe avait su mettre Maxence Gilet. On déplorait cette collision, tout en regardant le duel comme nécessaire.

Tout alla bien jusqu’au dessert, quoique les deux athlètes conservassent, malgré l’entrain apparent du dîner, une espèce d’attention assez semblable à de l’inquiétude. En attendant la querelle que, l’un et l’autre, ils devaient méditer, Philippe parut d’un admirable sang-froid, et Max d’une étourdissante gaieté ; mais, pour les connaisseurs, chacun d’eux jouait un rôle.

Quand le dessert fut servi, Philippe dit : — Remplissez vos verres, mes amis ? Je réclame la permission de porter la première santé.

— Il a dit mes amis, ne remplis pas ton verre, dit Renard à l’oreille de Max.

Max se versa du vin.

— À la Grande-Armée ! s’écria Philippe avec un enthousiasme véritable.

— À la Grande-Armée ! fut répété comme une seule acclamation par toutes les voix.

En ce moment, on vit apparaître sur le seuil de la salle onze