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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

mulé par l’espoir de s’emparer de la succession, il conçut l’admirable plan de faire sa tante de la Rabouilleuse. Aussi, dans ce dessein caché, dit-il à sa mère d’aller voir cette fille et de lui témoigner quelque affection en la traitant comme une belle-sœur.

— J’avoue, ma chère mère, fit-il en prenant un air cafard et regardant monsieur et madame Hochon qui venaient tenir compagnie à la chère Agathe, que la façon de vivre de mon oncle est peu convenable, et il lui suffirait de la régulariser pour obtenir à mademoiselle Brazier la considération de la ville. Ne vaut-il pas mieux pour elle être madame Rouget que la servante-maîtresse d’un vieux garçon ? N’est-il pas plus simple d’acquérir par un contrat de mariage des droits définis que de menacer une famille d’exhérédation ? Si vous, si monsieur Hochon, si quelque bon prêtre voulaient parler de cette affaire, on ferait cesser un scandale qui afflige les honnêtes gens. Puis mademoiselle Brazier serait heureuse en se voyant accueillie par vous comme une sœur, et par moi comme une tante. Le lit de mademoiselle Flore fut entouré le lendemain par Agathe et par madame Hochon, qui révélèrent à la malade et à Rouget les admirables sentiments de Philippe. On parla du colonel dans tout Issoudun comme d’un homme excellent et d’un beau caractère, à cause surtout de sa conduite avec Flore. Pendant un mois, la Rabouilleuse entendit Goddet père, son médecin, cet homme si puissant sur l’esprit d’un malade, la respectable madame Hochon, mue par l’esprit religieux, Agathe si douce et si pieuse, lui présentant tous les avantages de son mariage avec Rouget. Quand, séduite à l’idée d’être madame Rouget, une digne et honnête bourgeoise, elle désira vivement se rétablir pour célébrer ce mariage, il ne fut pas difficile de lui faire comprendre qu’elle ne pouvait pas entrer dans la vieille famille des Rouget en mettant Philippe à la porte.

— D’ailleurs, lui dit un jour Goddet père, n’est-ce pas à lui que vous devez cette haute fortune ? Max ne vous aurait jamais laissée vous marier avec le père Rouget. Puis, lui dit-il à l’oreille, si vous avez des enfants, ne vengerez-vous pas Max ? car les Bridau seront déshérités.

Deux mois après le fatal événement, en février 1823, la malade, conseillée par tous ceux qui l’entouraient, priée par Rouget, reçut donc Philippe, dont la cicatrice la fit pleurer, mais dont les manières adoucies pour elle et presque affectueuses la calmèrent. D’après le désir de Philippe, on le laissa seul avec sa future tante.