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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

favorables, ils seront repétris dans l’Humanité jusqu’à ce qu’ils soient durement punis à leur tour pour de simples erreurs, quand ils arriveront à la maturité des fruits célestes. Votre vie, ma fille, n’a été qu’une longue faute. Vous tombez dans la fosse que vous vous êtes creusée, car nous ne manquons que par le côté que nous avons affaibli en nous. Vous avez donné votre cœur à un monstre en qui vous avez vu votre gloire, et vous avez méconnu celui de vos enfants en qui est votre gloire véritable ! Vous avez été si profondément injuste que vous n’avez pas remarqué ce contraste si frappant : vous tenez votre existence de Joseph, tandis que votre autre fils vous a constamment pillée. Le fils pauvre, qui vous aime sans être récompensé par une tendresse égale, vous apporte votre pain quotidien ; tandis que le riche, qui n’a jamais songé à vous et qui vous méprise, souhaite votre mort.

— Oh ! pour cela !… dit-elle.

— Oui, reprit le prêtre, vous gênez par votre humble condition les espérances de son orgueil… Mère, voilà vos crimes ! Femme, vos souffrances et vos tourments vous annoncent que vous jouirez de la paix du Seigneur. Votre fils Joseph est si grand que sa tendresse n’a jamais été diminuée par les injustices de votre préférence maternelle, aimez-le donc bien ! donnez-lui tout votre cœur pendant ces derniers jours ; enfin, priez pour lui, moi je vais aller prier pour vous.

Dessillés par de si puissantes mains, les yeux de cette mère embrassèrent par un regard rétrospectif le cours de sa vie. Éclairée par ce trait de lumière, elle aperçut ses torts involontaires et fondit en larmes. Le vieux prêtre se sentit tellement ému par le spectacle de ce repentir d’une créature en faute, uniquement par ignorance, qu’il sortit pour ne pas laisser voir sa pitié. Joseph rentra dans la chambre de sa mère environ deux heures après le départ du confesseur. Il était allé chez un de ses amis emprunter l’argent nécessaire au payement de ses dettes les plus pressées, et il rentra sur la pointe du pied, en croyant Agathe endormie. Il put donc se mettre dans son fauteuil sans être vu de la malade.

Un sanglot entrecoupé par ces mots : — Me pardonnera-t-il ? fit lever Joseph qui eut la sueur dans le dos, car il crut sa mère en proie au délire qui précède la mort.

— Qu’as-tu, ma mère lui dit-il effrayé de voir les yeux rougis de pleurs et la figure accablée de la malade.