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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

— Oh ! comme je voudrais savoir ce que c’est que la couleur ! s’écria-t-elle un soir en entendant une discussion sur un tableau.

De son côté, Joseph fut sublime pour sa mère ; il ne quitta pas la chambre, il dorlotait Agathe dans son cœur, il répondait à cette tendresse par une tendresse égale. Ce fut pour les amis de ce grand peintre un de ces beaux spectacles qui ne s’oublient jamais. Ces hommes qui tous offraient l’accord d’un vrai talent et d’un grand caractère furent pour Joseph et pour sa mère ce qu’ils devaient être : des anges qui priaient, qui pleuraient avec lui, non pas en disant des prières et répandant des pleurs ; mais en s’unissant à lui par la pensée et par l’action. En artiste aussi grand par le sentiment que par le talent, Joseph devina, par quelques regards de sa mère, un désir enfoui dans ce cœur, et dit un jour à d’Arthez : — Elle a trop aimé ce brigand de Philippe pour ne pas vouloir le revoir avant de mourir…

Joseph pria Bixiou, qui se trouvait lancé dans le monde bohémien que fréquentait parfois Philippe, d’obtenir de cet infâme parvenu qu’il jouât, par pitié, la comédie d’une tendresse quelconque afin d’envelopper le cœur de cette pauvre mère dans un linceul brodé d’illusions. En sa qualité d’observateur et de railleur misanthrope, Bixiou ne demanda pas mieux que de s’acquitter d’une semblable mission. Quand il eut exposé la situation d’Agathe au comte de Brambourg qui le reçut dans une chambre à coucher tendue en damas de soie jaune, le colonel se mit à rire.

— Eh ! que diable veux-tu que j’aille faire là ? s’écria-t-il. Le seul service que puisse me rendre la bonne femme est de crever le plus tôt possible, car elle ferait une triste figure à mon mariage avec mademoiselle de Soulanges. Moins j’aurai de famille, meilleure sera ma position. Tu comprends très bien que je voudrais enterrer le nom de Bridau sous tous les monuments funéraires du Père-Lachaise !… Mon frère m’assassine en produisant mon vrai nom au grand jour ! Tu as trop d’esprit pour ne pas être à la hauteur de ma situation, toi ! Voyons ?… si tu devenais député, tu as une fière platine, tu serais craint comme Chauvelin, et tu pourrais être fait comte Bixiou, Directeur des Beaux-Arts. Arrivé là, serais-tu content, si ta grand-mère Descoings vivait encore, d’avoir à tes côtés cette brave femme qui ressemblait à une madame Saint-Léon ? lui donnerais-tu le bras aux Tuileries ? la présenterais-tu à la famille noble où tu tâcherais alors d’entrer ? Tu souhaiterais,