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LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

sacrebleu ! la voir à six pieds sous terre, calfeutrée dans une chemise de plomb. Tiens, déjeune avec moi, et parlons d’autre chose. Je suis un parvenu, mon cher, je le sais. Je ne veux pas laisser voir mes langes !… Mon fils, lui, sera plus heureux que moi, il sera grand seigneur. Le drôle souhaitera ma mort, je m’y attends bien, ou il ne sera pas mon fils.

Il sonna, vint le valet de chambre auquel il dit : — Mon ami déjeune avec moi, sers-nous un petit déjeuner fin.

— Le beau monde ne te verrait pourtant pas dans la chambre de ta mère, reprit Bixiou. Qu’est-ce que cela te coûterait d’avoir l’air d’aimer la pauvre femme pendant quelques heures ?…

— Ouitch ! dit Philippe en clignant de l’œil, tu viens de leur part. Je suis un vieux chameau qui se connaît en génuflexions. Ma mère veut, à propos de son dernier soupir, me tirer une carotte pour Joseph !… Merci.

Quand Bixiou raconta cette scène à Joseph, le pauvre peintre eut froid jusque dans l’âme.

— Philippe sait-il que je suis malade ? dit Agathe d’une voix dolente le soir même du jour où Bixiou rendit compte de sa mission.

Joseph sortit étouffé par ses larmes. L’abbé Loraux, qui se trouvait au chevet de sa pénitente, lui prit la main, la lui serra, puis il répondit : — Hélas ! mon enfant, vous n’avez jamais eu qu’un fils !…

En entendant ce mot qu’elle comprit, Agathe eut une crise par laquelle commença son agonie. Elle mourut vingt heures après.

Dans le délire qui précéda sa mort, ce mot : — De qui donc Philippe tient-il ?… lui échappa.

Joseph mena seul le convoi de sa mère. Philippe était allé, pour affaire de service, à Orléans, chassé de Paris par la lettre suivante que Joseph lui écrivit au moment où leur mère rendait le dernier soupir :

« Monstre, ma pauvre mère est morte du saisissement que ta lettre lui a causé, prends le deuil ; mais fais-toi malade : je ne veux pas que son assassin soit à mes côtés devant son cercueil.

Joseph B. »

Le peintre, qui ne se sentit plus le courage de peindre, quoique peut-être sa profonde douleur exigeât l’espèce de distraction mécanique apportée par le travail, fut entouré de ses amis qui s’entendirent pour ne jamais le laisser seul. Donc, Bixiou, qui aimait Jo-