— Vous avez des gens très-forts ici, lui dit Gaudissart en s’appuyant sur le chambranle de la porte et allumant son cigare à la pipe de Mitouflet.
— Comment l’entendez-vous ? demanda Mitouflet.
— Mais des gens ferrés à glace sur les idées politiques et financières.
— De chez qui venez-vous donc, sans indiscrétion ? demanda naïvement l’aubergiste en faisant savamment jaillir d’entre ses lèvres la sputation périodiquement expectorée par les fumeurs.
— De chez un lapin nommé Margaritis.
Mitouflet jeta successivement à sa pratique deux regards pleins d’une froide ironie.
— C’est juste, le bonhomme en sait long ! Il en sait trop pour les autres, ils ne peuvent pas toujours le comprendre…
— Je le crois, il entend foncièrement bien les hautes questions de finance.
— Oui, dit l’aubergiste. Aussi, pour mon compte, ai-je toujours regretté qu’il soit fou.
— Comment, fou ?
— Fou, comme on est fou, quand on est fou, répéta Mitouflet, mais il n’est pas dangereux, et sa femme le garde. Vous vous êtes donc entendus ? dit du plus grand sang-froid l’impitoyable Mitouflet. C’est drôle.
— Drôle ! s’écria Gaudissart ; drôle, mais votre monsieur Vernier s’est donc moqué de moi ?
— Il vous y a envoyé ? demanda Mitouflet.
— Oui.
— Ma femme, cria l’aubergiste, écoute donc. Monsieur Vernier n’a-t-il pas eu l’idée d’envoyer monsieur chez le bonhomme Margaritis ?…
— Et quoi donc, avez-vous pu vous dire tous deux, mon cher mignon monsieur, demanda la femme, puisqu’il est fou ?
— Il m’a vendu deux pièces de vin.
— Et vous les avez achetées ?
— Oui.
— Mais c’est sa folie de vouloir vendre du vin, il n’en a pas.
— Bon, dit le Voyageur. Je vais d’abord aller remercier monsieur Vernier.
Et Gaudissart se rendit bouillant de colère chez l’ancien teintu-