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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/491

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LES PARISIENS EN PROVINCE : LA MUSE DU DÉPARTEMENT.

d’un système, une foi dans certains principes ; c’est-à-dire une jurisprudence, un rapport, un arrêt. Ce critique devient alors le magistrat des idées, le censeur de son temps, il exerce un sacerdoce ; tandis que l’autre est un acrobate qui fait des tours pour gagner sa vie, tant qu’il a des jambes. Entre Claude Vignon et Lousteau, se trouvait la distance qui sépare le Métier de l’Art.

Dinah, dont l’esprit se dérouilla promptement et dont l’intelligence avait de la portée, eut bientôt jugé littérairement son idole. Elle vit Lousteau travaillant au dernier moment, sous les exigences les plus déshonorantes, et lâchant, comme disent les peintres d’une œuvre où manque le faire ; mais elle le justifiait en se disant : — C’est un poète ! tant elle avait besoin de se justifier à ses propres yeux. En devinant ce secret de la vie littéraire de bien des gens, elle devina que la plume de Lousteau ne serait jamais une ressource. L’amour lui fit alors entreprendre des démarches auxquelles elle ne serait jamais descendue pour elle-même. Elle entama par sa mère des négociations avec son mari pour en obtenir une pension, mais à l’insu de Lousteau dont la délicatesse devait, dans ses idées, être ménagée.

Quelques jours avant la fin de juillet, Dinah froissa de colère la lettre où sa mère lui rapportait la réponse définitive du petit La Baudraye.

« Madame de La Baudraye n’a pas besoin de pension à Paris quand elle a la plus belle existence du monde à son château d’Anzy : qu’elle y vienne ! »

Lousteau ramassa la lettre et la lut.

— Je nous vengerai, dit-il à madame de La Baudraye de ce ton sinistre qui plaît tant aux femmes quand on caresse leurs antipathies.

Cinq jours après, Bianchon et Duriau, le célèbre accoucheur, étaient établis chez Lousteau qui, depuis la réponse du petit La Baudraye, étalait son bonheur et faisait du faste à propos de l’accouchement de Dinah. Monsieur de Clagny et madame Piédefer, arrivée en hâte, étaient les parrain et marraine de l’enfant attendu, car le prévoyant magistrat craignit de voir commettre quelque faute grave à Lousteau. Madame de La Baudraye eut un garçon à faire envie aux reines qui veulent un héritier présomptif. Bianchon, accompagné de monsieur de Clagny, alla faire inscrire cet enfant à la Mairie comme fils de monsieur et de madame