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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

gny vint lui faire une semonce en présence de madame Piédefer ; mais il trouva Lousteau très-irrité de ces démarches.

— Ce que je faisais, monsieur, répondit Étienne, était fait avec intention. Monsieur de La Baudraye a soixante mille francs de rentes, et refuse une pension à sa femme ; je voulais lui faire sentir que j’étais le maître de cet enfant.

— Eh ! monsieur, je vous ai bien deviné, répondit le magistrat. Aussi me suis-je empressé d’accepter le parrainage du petit Melchior, il est inscrit à l’État-Civil comme fils du baron et de la baronne de La Baudraye, et, si vous avez des entrailles de père, vous devez être joyeux de savoir cet enfant héritier d’un des plus beaux majorats de France.

— Eh ! monsieur, la mère doit-elle mourir de faim ?

— Soyez tranquille, monsieur, dit amèrement le magistrat qui avait fait sortir du cœur de Lousteau l’expression du sentiment dont la preuve était depuis si long-temps attendue, je me charge de cette négociation avec monsieur de La Baudraye.

Et monsieur de Clagny sortit la mort dans le cœur : Dinah, son idole, était aimée par intérêt ! N’ouvrirait-elle pas les yeux trop tard ? — Pauvre femme ! se disait le magistrat en s’en allant.

Rendons-lui cette justice, car à qui la rendrait-on si ce n’est à un Substitut ? il aimait trop sincèrement Dinah pour voir dans l’avilissement de cette femme un moyen d’en triompher un jour, il était tout compassion, tout dévouement : il aimait.

Les soins exigés pour la nourriture de l’enfant, les cris de l’enfant, le repos nécessaire à la mère pendant les premiers jours, la présence de madame Piédefer, tout conspirait si bien contre les travaux littéraires, que Lousteau s’installa dans les trois chambres louées au premier étage pour la vieille dévote. Le journaliste obligé d’aller aux premières représentations sans Dinah, et séparé d’elle la plupart du temps, trouva je ne sais quel attrait dans l’exercice de sa liberté. Plus d’une fois il se laissa prendre sous le bras et entraîner dans une joyeuse partie. Plus d’une fois il se retrouva chez la lorette d’un ami dans le milieu de la Bohême. Il revoyait des femmes d’une jeunesse éclatante, mises splendidement, et à qui l’économie apparaissait comme une négation de leur jeunesse et de leur pouvoir. Dinah, malgré la beauté merveilleuse qu’elle montra dès son troisième mois de nourriture, ne pouvait soutenir la comparaison avec ces fleurs sitôt fanées, mais si