Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/126

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trois coups de stylet. — De la part du cardinal Cicognara, dit l’un d’eux. — C’est un bienfait digne d’un chrétien, répondit le Français en expirant. Ces sombres émissaires apprirent à Zambinella l’inquiétude de son protecteur, qui attendait à la porte dans une voiture fermée, afin de pouvoir l’emmener aussitôt qu’il serait délivré.

— Mais, me dit madame de Rochefide, quel rapport existe-t-il entre cette histoire et le petit vieillard que nous avons vu chez les Lanty ?

— Madame, le cardinal Cicognara se rendit maître de la statue de Zambinella et la fit exécuter en marbre, elle est aujourd’hui dans le musée Albani. C’est là qu’en 1791 la famille Lanty la retrouva, et pria Vien de la copier. Le portrait qui vous a montré Zambinella à vingt ans, un instant après l’avoir vu centenaire, a servi plus tard pour l’Endymion de Girodet, vous avez pu en reconnaître le type dans l’Adonis.

— Mais ce ou cette Zambinella ?

— Ne saurait être, madame, que le grand-oncle de Marianina. Vous devez concevoir maintenant l’intérêt que madame de Lanty peut avoir à cacher la source d’une fortune qui provient…

— Assez ! dit-elle en me faisant un geste impérieux.

Nous restâmes pendant un moment plongés dans le plus profond silence.

— Hé ! bien ? lui dis-je.

— Ah ! s’écria-t-elle en se levant et se promenant à grands pas dans la chambre.

Elle vint me regarder, et me dit d’une voix altérée : — Vous m’avez dégoûtée de la vie et des passions pour longtemps. Au monstre près, tous les sentiments humains ne se dénouent-ils pas ainsi, par d’atroces déceptions ? Mères, des enfants nous assassinent ou par leur mauvaise conduite ou par leur froideur. Épouses, nous sommes trahies. Amantes, nous sommes délaissées, abandonnées. L’amitié ! existe-t-elle ? Demain je me ferais dévote si je ne savais pouvoir rester comme un roc inaccessible au milieu des orages de la vie. Si l’avenir du chrétien est encore une illusion, au moins elle ne se détruit qu’après la mort. Laissez-moi seule.

— Ah ! lui dis-je, vous savez punir.

— Aurais-je tort ?

— Oui, répondis-je avec une sorte de courage. En achevant cette histoire, assez connue en Italie, je puis vous donner une haute idée des progrès faits par la civilisation actuelle. On n’y fait plus de ces malheureuses créatures.