L’INTERDICTION.
En 1828, vers une heure du matin, deux personnes sortaient d’un hôtel situé dans la rue du Faubourg-Saint-Honoré, près de l’Élysée-Bourbon : l’une était un médecin célèbre, Horace Bianchon ; l’autre un des hommes les plus élégants de Paris, le baron de Rastignac, tous deux amis depuis long-temps. Chacun d’eux avait renvoyé sa voiture, il ne s’en trouva point dans le faubourg ; mais la nuit était belle et le pavé sec.
— Allons à pied jusqu’au boulevard, dit Eugène de Rastignac à Bianchon, tu prendras une voiture au Cercle ; il y en a là jusqu’au matin. Tu m’accompagneras jusque chez moi.
— Volontiers.
— Eh ! bien, mon cher, qu’en dis-tu ?
— De cette femme ? répondit froidement le docteur.
— Je reconnais mon Bianchon, s’écria Rastignac.
— Hé ! bien, quoi ?
— Mais tu parles, mon cher, de la marquise d’Espard comme d’une malade à placer dans ton hôpital.
— Veux-tu savoir ce que je pense, Eugène ? Si tu quittes madame de Nucingen pour cette marquise, tu changeras ton cheval borgne contre un aveugle.
— Madame de Nucingen a trente-six ans, Bianchon.