Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/252

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pres yeux qu’à ceux de Popinot ; il y mit cette bourgeoise et naïve emphase, expression de sa supériorité postiche.

— Quoi ! vous auriez deviné ma passion pour…

— Pour qui ? dit le parfumeur.

— Pour mademoiselle Césarine.

— Ah ! garçon, tu es bien hardi, s’écria Birotteau. Mais garde bien ton secret, je te promets de l’oublier, et tu sortiras de chez moi demain. Je ne t’en veux pas ; à ta place, diable ! diable ! j’en aurais fait tout autant. Elle est si belle !

— Ah, monsieur ! dit le commis qui sentait sa chemise mouillée tant il se tressuait.

— Mon garçon, cette affaire n’est pas l’affaire d’un jour : Césarine est sa maîtresse, et sa mère a ses idées. Ainsi rentre en toi-même, essuie tes yeux, tiens ton cœur en bride et n’en parlons jamais. Je ne rougirais pas de t’avoir pour gendre : neveu de monsieur Popinot, juge au tribunal de première instance ; neveu des Ragon, tu as le droit de faire ton chemin tout comme un autre ; mais il y a des mais, des car, des si ! Quel diable de chien me lâches-tu là dans une conversation d’affaire ! Tiens, assieds-toi sur cette chaise, et que l’amoureux fasse place au commis. Popinot, es-tu homme de cœur ? dit-il en regardant son commis. Te sens-tu le courage de lutter avec plus fort que toi, de te battre corps à corps ?…

— Oui, monsieur.

— De soutenir un combat long, dangereux…

— De quoi s’agit-il ?

— De couler l’huile de Macassar ! dit Birotteau, se dressant en pied comme un héros de Plutarque. Ne nous abusons pas, l’ennemi est fort, bien campé, redoutable. L’huile de Macassar a été rondement menée. La conception est habile. Les fioles carrées ont l’originalité de la forme. Pour mon projet, j’ai pensé à faire les nôtres triangulaires ; mais je préférerais, après de mûres réflexions, de petites bouteilles de verre mince clissées en roseau ; elles auraient un air mystérieux, et le consommateur aime tout ce qui l’intrigue.

— C’est coûteux, dit Popinot. Il faudrait tout établir au meilleur marché possible, afin de faire de fortes remises aux détaillants.

— Bien, mon garçon, voilà les vrais principes. Songes-y bien,