Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/406

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durant ce secret orage avait dirigé la maison, monta dans les appartements et entra au salon. En entendant son pas, Césarine courut lui ouvrir pour qu’il ne vît pas l’abattement du maître.

— Parmi les lettres de ce soir, dit-il, il y en avait une venue de Tours, dont l’adresse était mal mise, ce qui a produit du retard. J’ai pensé qu’elle est du frère de monsieur, et ne l’ai pas ouverte.

— Mon père, cria Césarine, une lettre de mon oncle de Tours.

— Ah ! je suis sauvé, cria César. Mon frère ! mon frère ! dit-il en baisant la lettre.

RÉPONSE DE FRANÇOIS À CÉSAR BIROTTEAU.
Tours, 17 courant.

« Mon bien-aimé frère, ta lettre m’a causé la plus vive affliction. Après l’avoir lue, je suis allé offrir à Dieu le saint sacrifice de la messe à ton intention, en l’intercédant par le sang que son fils, notre divin Rédempteur, a répandu pour nous, de jeter sur tes peines un regard miséricordieux. Au moment où j’ai prononcé mon oraison Pro meo fratre Cæsare, j’ai eu les yeux pleins de larmes en pensant à toi, de qui, par malheur, je suis séparé dans les jours où tu dois avoir besoin des secours de l’amitié fraternelle. Mais j’ai songé que le digne et vénérable monsieur Pillerault me remplacera sans doute. Mon cher César, n’oublie pas au milieu de tes chagrins que cette vie est une vie d’épreuves et de passage ; qu’un jour nous serons récompensés d’avoir souffert pour le saint nom de Dieu, pour sa sainte église, pour avoir observé les maximes de l’Évangile et pratiqué la vertu ; autrement les choses de ce monde n’auraient point de sens. Je te redis ces maximes, en sachant combien tu es pieux et bon, parce qu’il peut arriver aux personnes qui, comme toi, sont jetées dans les orages du monde et lancées sur la mer périlleuse des intérêts humains, de se permettre des blasphèmes au milieu des adversités, emportés qu’ils sont par la douleur. Ne maudis ni les hommes qui te blesseront, ni Dieu qui mêle à son gré de l’amertume à ta vie. Ne regarde pas la terre, au contraire, lève toujours les yeux au ciel : de là viennent des consolations pour les faibles, là sont les richesses des pauvres, là sont les terreurs du riche…