Page:Œuvres complètes de Jean-Jacques Rousseau - II.djvu/347

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méthode pour abréger le travail, il est digne de sa sagesse de préférer pourtant les voies les plus simples, afin qu’il n’y ait rien d’inutile dans les moyens non plus que dans les effets. En créant l’homme, il l’a doué de toutes les facultés nécessaires pour accomplir ce qu’il exigeait de lui ; et quand nous lui demandons le pouvoir de bien faire, nous ne lui demandons rien qu’il ne nous ait déjà donné. Il nous a donné la raison pour connaître ce qui est bien, la conscience pour l’aimer, et la liberté pour le choisir. C’est dans ces dons sublimes que consiste la grâce divine ; et comme nous les avons tous reçus, nous en sommes tous comptables.

J’entends beaucoup raisonner contre la liberté de l’homme, et je méprise tous ces sophismes, parce qu’un raisonneur a beau me prouver que je ne suis pas libre, le sentiment intérieur, plus fort que tous ses arguments, les dément sans cesse ; et quelque parti que je prenne, dans quelque délibération que ce soit, je sens parfaitement qu’il ne tient qu’à moi de prendre le parti contraire. Toutes ces subtilités de l’école sont vaines précisément parce qu’elles prouvent trop, qu’elles combattent tout aussi bien la vérité que le mensonge, et que, soit que la liberté existe ou non, elles peuvent servir également à prouver qu’elle n’existe pas. A entendre ces gens-là, Dieu même ne serait pas libre, et ce mot de liberté n’aurait aucun sens. Ils triomphent, non d’avoir résolu la question, mais d’avoir mis à sa place une chimère. Ils commencent par supposer que tout être intelligent est purement passif, et puis ils déduisent de cette supposition des conséquences pour prouver qu’il n’est pas actif. La commode méthode qu’ils ont trouvée là ! S’ils accusent leurs adversaires de raisonner de même, ils ont tort. Nous ne nous supposons point actifs et libres, nous sentons que nous le sommes. C’est à eux de prouver non seulement que ce sentiment pourrait nous tromper, mais qu’il nous trompe en effet. L’évêque de Cloyne a démontré que, sans rien changer aux apparences, la matière et les corps pourraient ne pas exister ; est-ce assez pour affirmer qu’ils n’existent pas ? En tout ceci, la seule apparence coûte plus que la réalité : je m’en tiens à ce qui est plus simple.

Je ne crois dons pas qu’après avoir pourvu de toute manière aux besoins de l’homme, Dieu accorde à l’un plutôt qu’à l’autre des secours extraordinaires, dont celui qui abuse des secours communs à tous est indigne, et dont celui qui en use bien n’a pas besoin. Cette acception de personnes est injurieuse à la justice divine. Quand cette dure et décourageante doctrine se déduirait de l’Ecriture elle-même, mon premier devoir n’est-il pas d’honorer Dieu ? Quelque respect que je doive au texte sacré, j’en dois plus encore à son auteur ; et j’aimerais mieux croire la Bible falsifiée ou inintelligible, que Dieu injuste ou malfaisant. Saint Paul ne veut pas que le vase dise au potier : « Pourquoi m’as-tu fait ainsi ? » Cela est fort bien, si le potier n’exige du vase que des services qu’il l’a mis en état de lui rendre ; mais, s’il s’en prenait au vase de n’être pas propre à un usage pour lequel il ne l’aurait pas fait, le vase aurait-il tort de le lui dire : « Pourquoi m’as-tu fait ainsi ? »

S’ensuit-il de là que la prière soit inutile ? A Dieu ne plaise que je m’ôte cette ressource contre mes faiblesses ! Tous les actes de l’entendement qui nous élèvent à Dieu nous portent au-dessus de nous-mêmes ; en implorant son secours, nous apprenons à le trouver. Ce n’est pas lui qui nous change ; c’est nous qui changeons en nous élevant à lui. Tout ce qu’on lui demande comme il faut, on se le donne ; et comme vous l’avez dit, on augmente sa force en reconnaissant sa faiblesse. Mais, si l’