Page:Œuvres complètes de Maximilien de Robespierre, tome 1.djvu/255

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Las du cristal des eaux on chercha des miroirs
Et pour comble d’horreurs on voulut des mouchoirs.
Cependant j’en conviens, ces sages républiques,
Illustres par l’éclat de leurs vertus antiques,
Ces peuples, dont la terre admire les exploits
De ce désordre affreux garantis par les loix
Ne subirent jamais ce honteux esclavage.
Si Rome humiliant son superbe courage
Eût souffert dans son sein ces nés efféminés.
Eût-elle vu des Rois à ses pies enchaînés,
L’histoire en retraçant ses mœurs et sa puissance
D’un seul mouchoir jamais n’atteste l’existence.
Scipion, ce héros de l’Afrique fatal
N’avoit point de mouchoirs, et vainquit Annibal.
Un mouchoir ! Scipion ! Quel contraste risible !
Non jamais d’un romain le courage inflexible
N’eût permis que son nés libre et majestueux
Apprit à s’amollir dans un cotton moelleux.
Si vous pouvez donner un mouchoir à Pompée
À Cornélie aussi prêtez une poupée,
Un manchon à Brutus[1] des gands à Cicéron,
Un col à Paul-Émile, un jabot à Caton.
D’autres tems, d’autres mœurs ; un funeste génie
Parmi nous des mouchoirs a soufflé la manie.
Moi-même je le sens ; c’est en vain que mes vers
Sur ce honteux abus gourmandent l’univers !
Je lui demande en vain ces justes sacrifices,
Le pire de nos maux, c’est de chérir nos vices ;
Que dis-je ? nous pouvons à peine concevoir
Qu’une société peut fleurir sans mouchoir.
De nos usages vains ambitieux esclaves
Nous aimons à traîner nos absurdes entraves ;
Nous appelons grossiers, les hommes ingénus
Qui pouvant dédaigner des secours superflus
Sçavent à leurs doigts seuls demander un service,
Qui pour nous d’un mouchoir exige encore l’office,

  1. Dans le texte manuscrit, on lisait d’abord Sylla.