Page:Œuvres complètes de Maximilien de Robespierre, tome 1.djvu/79

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Les vertus même ici sont opposées aux vertus. On ne peut frapper sur le crime, sans frapper sur l’innocence ; et la pitié affaiblit la justice dans tous les cœurs. Quand j’entends le peuple se soulever contre ces ménagemens, qu’on n’a pas pour lui, j’entre dans ses raisons, dans ses sentimens ; je suis prêt de mêler mes réclamations à ses emportemens. Mais si j’aperçois cette famille, si je contemple toute l’étendue de son désastre, je cède à ses douleurs, je crie grâce avec elle. Le peuple lui-même, aussi variable qu’impétueux dans ses passions, n’a besoin, pour se démentir, que d’être appelé à une autre pensée, par un autre spectacle. Montrez-lui cette famille que ses clameurs poursuivent, et il prendra parti pour elle contre lui-même ; il la protégera de ses larmes et de ses invocations.

« La raison n’a jamais suffi pour déraciner un préjugé, dit encore M. Thomas, dans la lettre qu’il m’a fait l’honneur de m’écrira sur ce sujet ; il faut ébranler l’âme et l’imagination.

M. de Robespierre a trop de talent pour n’avoir pas souvent écrit d’après cet heureux principe. Il présente le préjugé sous un aspect inattendu, pour le rendre plus révoltant :

« Je suppose donc… jusque…sans être un peu ému de leurs cris. »

J’ai encore l’avantage de m’être rencontré avec l’auteur, non pas dans la même idée, mais dans le même dessein. J’ai aussi employé une figure, à peu près du même genre. Je vais encore me citer moi-même, une dernière fois. « Sous quelle effrayante condition existé-je donc dans la société ? Un seul de ces hommes, à qui la nature m’a uni, encourerait les punitions infamantes de la loi ; et sa honte rejaillirait sur moi ! et sa mort entraînerait ma proscription ! Dans quel jour de démence, a-t-on arrêté que l’innocent périrait avec le coupable ; et que l’opprobre coulerait, comme le sang, dans les familles ? Nous vivons entre le crime et le malheur, et nous réclamons sans cesse la pitié et l’indulgence ; mais nous ne savons que nous opprimer nous-mêmes par nos affreuses institutions ! Tous les jours nos tribunaux retentissent des tristes plaintes de ces hommes obligés de demander à la loi les parens que la nature leur avait donnés ? Je sens profondément leur malheur : l’homme n’est pas fait pour vivre seul ; il a besoin de communiquer ses affections, d’entrer dans celles des autres ; il aime à leur donner des droits sur lui, pour en acqué-