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Les discours de Robespierre

cimenté, par le vœu unanime des Français ; le génie de la liberté plane d’une aile rapide sur la surface de cet empire, en rapproche toutes les parties prêtes à se dissoudre, et les raffermit sur ses vastes fondemens.

Mais ce qui prouve à quel point le principal ministre de George III manque de génie, en dépit de l’attention dont nous l’avons honoré, c’est le système entier de son administration. Il a voulu sans cesse allier deux choses évidemment contradictoires, l’extension sans bornes de la prérogative royale, c’est-à-dire le despotisme, avec l’accroissement de la prospérité commerciale de l’Angleterre : comme si le despotisme n’étoit pas le fléau du commerce : comme si un peuple qui a eu quelqu’idée de la liberté pouvoit descendre à la servitude sans perdre l’énergie qui seule peut être la source de ces succès. Pitt n’est pas moins coupable envers l’Angleterre, dont il a mille fois violé la Constitution, qu’envers la France. Le projet même de placer un prince anglais sur le trône des Bourbons étoit un attentat contre la liberté de son pays, puisqu’un roi d’Angleterre dont la famille régneroit en France et en Hanovre, tiendroit dans ses mains tous les moyens de l’asservir. Comment une nation qui a craint de remettre une armée entre les mains du roi, chez qui on a souvent agité la question, si le peuple anglais devoit souffrir qu’il réunît à ce titre la puissance & le titre de duc de Hanovre ; comment cette nation rampe-t-elle sous le joug d’un esclave (d) qui ruine sa patrie pour donner des couronnes à son maître ? Au reste, je n’ai pas besoin d’observer que le cours des évènemens imprévus de notre Révolution a dû nécessairement forcer le ministère anglais à faire, selon les circonstances, beaucoup d’amendemens à ses premiers plans, multiplier ses embarras & par conséquent ses noirceurs. Il ne seroit pas même (e) étonnant que celui qui voulut donner un roi à la France fut réduit aujourd’hui à épuiser ses dernières ressources pour conserver le sien ou pour se conserver lui-même (f).

Dès l’année 1791, la faction anglaise & tous les ennemis de la liberté s’étoient apperçus qu’il existoit en France un parti républicain, qui ne transigeroit pas avec la tyrannie, & que ce parti étoit le peuple. Les assassinats partiels, tels que ceux du Champ-de-Mars & de Nancy, leur paroissoient insuffisans pour le détruire : ils résolurent de lui donner la guerre : de là la monstrueuse alliance de l’Autriche & de la Prusse, et ensuite la ligue de toutes les puissances armées contre nous. Il seroit absurde d’attribuer principalement ce phénomène à l’influence des émigrés qui fatiguèrent long-temps toutes les Cours de leurs clameurs impuissantes, & au crédit de la cour de France ; il fut l’ouvrage de la politique étrangère soutenue du pouvoir des factieux qui gouvernoient la France.

Pour engager les rois dans cette téméraire entreprise, il ne suffîsoit pas d’avoir cherché à leur persuader que, hors un petit nombre de républicains, toute la nation haïssoit en secret le nouveau régime & les attendoit comme des libérateurs ; il ne suffîsoit pas de leur avoir