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Les discours de Robespierre

le masque ; les conspirateurs accuseront leurs accusateurs, et prodigueront tous les stratagèmes jadis mis en usage par Brissot pour étouffer la voix de la vérité. S’ils ne peuvent maîtriser la Convention par ce moyen, ils la diviseront en deux partis ; et un vaste champ est ouvert à la calomnie et à l’intrigue. S’ils la maîtrisent un moment, ils accuseront de despotisme et de résistance à l’autorité nationale ceux qui combattront avec énergie leur ligue criminelle ; les cris de l’innocence opprimée, les accents mâles de la liberté outragée seront dénoncés comme les indices d’une influence dangereuse ou d’une ambition personnelle ; vous croirez être retournés sous le couteau des anciens conspirateurs. Le peuple s’indignera ; on l’appellera une faction ; la faction criminelle continuera de l’exaspérer ; elle cherchera à diviser la Convention nationale du peuple ; enfin à force d’attentats on espère parvenir à des troubles dans lesquels les conjurés feront intervenir l’aristocratie et tous leurs complices pour égorger les patriotes et rétablir la tyrannie. Voilà une partie du plan de la conspiration. Et à qui faut-il imputer ces maux ? A nous-mêmes, à notre lâche faiblesse pour le crime et à notre coupable abandon des principes proclamés par nous-mêmes. Ne nous y trompons pas : fonder une immense République sur les bases de la raison et de l’égalité, resserrer par un lien vigoureux toutes les parties de cet empire immense n’est pas une entreprise que la légèreté puisse consommer : c’est le chef-d’œuvre de la vertu et de la raison humaine. Toutes les factions naissent en foule au sein d’une grande révolution ; comment les réprimer, si vous ne soumettez sans cesse toutes les passions à la justice ? Vous n’avez d’autre garant de la liberté que l’observation rigoureuse des principes et de la morale universelle que vous avez proclamés. Si la raison ne règne pas, il faut que le crime et l’ambition régnent ; sans elle, la victoire n’est qu’un moyen d’ambition et un danger pour la liberté même, un prétexte fatal dont l’intrigue abuse pour endormir le patriotisme sur les bords du précipice ; sans elle, qu’importe la victoire même ? La victoire ne fait qu’armer l’ambition, endormir le patriotisme, éveiller l’orgueil, et creuser de ses mains brillantes le tombeau de la République. Qu’importe que nos armées chassent devant elles les satellites armés des rois, si nous reculons devant les vices destructeurs de la liberté publique ? Que nous importe de vaincre les rois, si nous sommes vaincus par les vices qui amènent la tyrannie ? Or qu’avons-nous fait depuis quelque temps contre eux ? Nous avons proclamé de grands prix[1]. Que n’a-t-on pas fait pour les protéger parmi nous 1 Qu’avons-nous fait pour les détruire ? Rien, car ils lèvent une tête insolente, et menacent impunément la vertu ; rien, car le gouvernement a reculé devant les factions, et elles trouvent des protecteurs parmi les dépositaires de l’autorité publique ; attendons-nous donc à tous les maux, puisque nous leur abandonnons l’empire. Dans la carrière où nous sommes.

  1. Sorb. : « principes ».