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LES DISCOURS DE ROBESPIERRE

le bien public. Je termine cette discussion, trop claire pour être étendue : par un trait qui est au-dessus de tous les argumens.

« Un citoyen est accusé d’un grand crime : une nuée de preuves, de celles qui subjuguent tous les juges, s’élève contre lui ; un juré, un seul juré, résiste à l’évidence qui frappe tous les yeux. Il refuse avec une opiniâtreté invincible, de joindre son suffrage à celui de ses collègues... C’étoit lui qui avoit compris le crime. La trouveriez-vous sage, la loi barbare, qui l’auroit condamné à prononcer la perte de l’accusé ?

« Ne sentez-vous pas la nature se révolter au dedans de vous à la seule idée d’un juge qui reconnoît l’innocence, qui la plaint, qui frémit de son sort, et qui l’envoie au supplice ? La loi peut-elle outrager à ce point la raison, la justice, et la conscience ?

« Je résume ce que j’ai dit dans les trois propositions suivantes :

« 1 ° Les dépositions des témoins sont indiquées par écrit ;

a 2° Les jurés ne pourront déclarer le coupable convaincu, si le genre de preuves déterminé par la loi n’est acquis ;

« 3° Ils pourront et devront le déclarer non convaincu si leur connoissance et leur conviction personnelle est contraire à cette preuve »[1]


Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 5, p. 18.


« M. Roberspierre. Les dépositions seront-elles écrites, ou plutôt les accusés seront-ils condamnés sur les traces que les déclarations verbales auront laissées dans l’esprit des juges ? Pour décider cette question, remontons aux premiers principes de toute procédure criminelle. La procédure est une précaution ordonnée par la loi contre l’ignorance, la faiblesse ou la prévention du juge. Si les juges ne sont pas infaillibles, la loi ne doit pas leur dire : choisissez les moyens que vous voudrez, et jugez ce que vous voudrez, car alors la conviction des juges ignorans serait substituée aux preuves. Leur décision deviendrait arbitraire et le jugement irréfléchi, le législateur n’aurait que des juges à

  1. Le discours de Robespierre porte donc sur deux points : l’un concerne la procédure qui était l’objet propre du débat, l’autre la « preuve légale ». Dans la procédure traditionnelle, le tribunal cherchait dans le dossier la « preuve légale », par exemple l’accord de deux témoins non récusés par l’inculpé. D’après Thouret (Discours du 11 janvier 1790 ; Archives parlementaires, t. XXII, p. 132), dans l’affaire des roués de Chaumont, le président, réprimandant un des juges, lui dit que « c’était une prévarication de ne pas céder à la preuve faite par deux témoins non reprochés ». Robespierre estime avec raison que deux témoins dont les dépositions concordent peuvent néanmoins se tromper et que l’esprit de l’institution du jury veut qu’il décide d’après la vraisemblance qui résulte pour lui de l’impression laissée par le débat oral et contradictoire.