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LES DISCOURS DE ROBESPIERRE

« Aussi, loin d’abandonner à la seule conscience, à la seule volonté arbitraire des juges, le pouvoir de décider du crime ou de l’innocence ; elle leur a dit énergiquement : « Vous ne condamnerez pas si vous n’avez pas des preuves plus claires que le jour » ; elle a fait plus ; elle a déterminé le genre des preuves, elle a établi de certaines règles de certitude sans lesquelles il ne leur est pas permis de condamner ; or, si elle a établi ces règles, ces conditions, il faut bien qu’il y ait un moyen de constater qu’elles ont été observées ; ce moyen, c’est l’écriture ; sans elle, il ne reste aucune trace des preuves qui rendent les motifs des jugemens, et la destinée des accusés ; il n’y a plus qu’incertitude, obscurité, arbitraire et despotisme.

« Ce peu de mots suffit, ce semble, pour résoudre la grande question qui vous occupe. Mais nous ne l’avons point encore envisagée dans toute son étendue et tous ses rapports les plus intéressans.

« Si la loi doit exiger un certain genre, un certain degré de preuve, sans lequel les juges ne peuvent condamner, il ne s’ensuit pas que cette preuve suffise pour nécessiter la condamnation. Il faut que la conviction personnelle du juge se joigne à cette preuve. Elle doit l’exiger, pour mettre un frein à l’arbitraire ; les règles qu’elle établit à cet égard sont le résultat de la sagesse et de l’impartialité, parce qu’elles sont générales : mais c’est pour cette raison là même que, dans la pratique, elles sont souvent démenties, par des circonstances particulières que le législateur ne peut ni prévoir ni détailler, et que le juge seul peut connaître : il faut donc que la connaissance et la conviction personnelle de celui-ci supplée à ce que la prévoyance générale de l’autre a nécessairement de défectueux.

« Le témoignage de deux hommes ; voilà une de ces preuves déterminées par la loi. Mais, dans tel procès particulier, deux témoins déposent contre l’accusé ; mais le juge sait qu’ils sont d’une intelligence foible ou d’une probité équivoque, ou bien il les a vus incertains et vacillans ; enfin, le caractère de l’accusé, sa réputation intacte, mille circonstances qui se développent sous les yeux du juge, forment une preuve plus satisfaisante et plus forte que la foi des deux témoins. Le juge condamnera-t-il ? Non, ce seroit préférer un fantôme de preuves à la preuve réelle ; ce seroit préférer l’ombre de la vérité à la vérité même : ce seroit frapper en aveugle une victime innocente avec le glaive des loix ; ce seroit violer leur esprit et contrarier leur but.

« Je conclus de tout ceci que le juge ne peut condamner si la preuve légale n’est point acquise ; je conclus encore qu’il ne doit point condamner, si la conviction personnelle est en contradiction avec cette preuve apparente. C’est dans ce point qui concilie et le système du Comité et l'opinion de ceux qui la combattent, qui prévient les inconvéniens réels et redoutables que l’un et l’autre présentent, que résident la vérité et