Aller au contenu

Page:Œuvres complètes de Platon, série 3, tome 1, Dialogues dogmatiques (trad. Dacier et Grou), 1866.djvu/429

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pousse donc et je lui dis : Socrate, dors-tu ? — Pas encore, répondit-il. Eh bien, sais-tu ce que je pense ? — Quoi donc ? — Je pense, repris-je, que tu es le seul amant digne de moi, et il me semble que tu n’oses me découvrir tes sentiments. Pour moi, je me trouverais bien peu raisonnable de ne pas chercher à te complaire en cette occasion, comme en toute autre où je pourrais t’obliger, soit par moi-même, soit par mes amis. Je n’ai rien tant à cœur que de me perfectionner le plus possible, et je ne vois personne dont le secours puisse m’être en cela plus utile que le tien. En refusant quelque chose à un homme tel que toi, je craindrais bien plus d’être blâmé des sages que je ne crains d’être blâmé du vulgaire et des sots en t’accordant tout. À ce discours, Socrate me répondit avec son ironie habituelle :

Mon cher Alcibiade, si ce que tu dis de moi est vrai, si j’ai en effet la puissance de te rendre meilleur, en vérité tu ne me parais pas malhabile, et tu as découvert en moi une beauté merveilleuse et bien au-dessus de la tienne. À ce compte, en voulant t’unir à moi et échanger ta beauté contre la mienne, tu m’as l’air d’entendre fort bien tes intérêts, puisqu’au lieu de l’apparence du beau tu veux acquérir la réalité, et me donner du cuivre contre de l’or[1]. Mais, bon jeune homme, regardes-y de plus près, de peur de te tromper sur ce que je vaux. Les yeux de l’esprit ne commencent guère à devenir

  1. Locution proverbiale qui fait allusion à l’échange des armes entre Diomède et Glaucus dans l’Iliade, liv. VI, v. 236.