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Page:Œuvres complètes de Platon, série 3, tome 1, Dialogues dogmatiques (trad. Dacier et Grou), 1866.djvu/431

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que je ne pouvais en aucune manière ni me fâcher ni me passer de sa compagnie, et que je ne voyais pas davantage le moyen de le gagner ; car je savais bien qu’il était beaucoup plus invulnérable contre l’argent qu’Ajax contre le fer, et le seul attrait auquel je le croyais sensible n’avait rien pu sur lui. Ainsi, asservi à cet homme plus qu’aucun esclave ne le fut jamais à son maître, j’errais çà et là, ne sachant quel parti prendre. Telles furent mes premières relations avec lui. Ensuite nous nous trouvâmes ensemble à l’expédition contre Potidée, et nous y fûmes camarades de chambrée. Là je voyais Socrate l’emporter, non-seulement sur moi, mais sur tous les autres, par sa patience à supporter les fatigues. S’il nous arrivait, comme c’est assez l’ordinaire en campagne, de manquer de vivres, Socrate souffrait la faim et la soif avec plus de courage qu’aucun de nous. Étions-nous dans l’abondance, il savait en jouir mieux que personne. Sans aimer à boire, il buvait plus que pas un autre, s’il y était forcé, et, ce qui va vous étonner, personne ne l’a jamais vu ivre : et de cela vous pourrez, je pense, avoir la preuve tout à l’heure. L’hiver est très-rigoureux dans ce pays-là, et la manière dont Socrate résistait au froid allait jusqu’au prodige. Dans le temps de la plus forte gelée, quand personne n’osait sortir, ou du moins ne sortait que bien vêtu, bien chaussé, les pieds enveloppés de feutre et de peaux d’agneau, lui ne laissait pas d’aller et de venir avec le même manteau qu’il avait coutume de porter, et il marchait pieds nus sur la glace beaucoup plus aisément