Page:Œuvres complètes de Platon (Chambry), tome 1.djvu/402

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— Nous pourrions bien, dit-il, être en contradiction.

— Ainsi ce qui ne paye pas de retour ce qui l’aime, n’en saurait être l’ami ?

— Il ne semble pas.

— Alors ceux-là ne sont pas amis des chevaux que les chevaux n’aiment pas en retour, non plus qu’ils ne sont amis des cailles, ou des chiens, ou du vin, ou de la gymnastique, ni amis de la philosophie, si la philosophie ne les aime pas en retour ; ou bien chacun d’eux aime-t-il ces objets, bien que ceux-ci ne soient pas leurs amis ? Dès lors le poète se tromperait, quand il dit :

« Heureux qui a pour amis ses enfants, des chevaux solipèdes, des chiens de chasse, et un hôte à l’étranger. »

— Pour moi, dit-il, je ne le crois pas.

— Alors tu crois qu’il dit la vérité ?

— Oui.

— Selon toi, Ménexène, c’est donc l’aimé qui est l’ami de l’aimant, même si l’aimé n’aime pas et même s’il hait, comme les enfants nouveau-nés qui n’aiment pas encore ou qui haïssent même leur père ou leur mère, quand ils sont châtiés par eux, sont malgré cela, et dans le temps même où ils les haïssent, plus chers que tout au monde à leurs parents.

— Il me semble, dit-il, qu’il en est ainsi.

— Ce n’est donc pas, à ce compte, celui qui aime qui est l’ami, c’est celui qui est aimé.

— Il me paraît.

— Conséquemment aussi, c’est celui qui est haï qui est l’ennemi, ce n’est pas celui qui hait ?

— Il semble.

— Dès lors beaucoup de gens sont aimés par leurs ennemis et sont haïs par leurs amis, et sont les amis de leurs ennemis et les ennemis de leurs amis, si c’est l’aimé, non l’aimant, qui est l’ami. Cependant, c’est une chose par trop absurde, mon cher ami, ou plutôt, ce me semble, impossible, d’être l’ennemi de son ami et l’ami de son ennemi.

— Je crois, dit-il, que tu as raison, Socrate.