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Page:Œuvres complètes de Platon (Chambry), tome 1.djvu/403

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— Si c’est impossible, c’est celui qui aime qui doit être l’ami de l’objet aimé.

— C’est vraisemblable.

— Et celui qui hait qui est l’ennemi de l’objet haï.

— Nécessairement.

— Alors nous voilà contraints d’avouer, comme tout à l’heure, que souvent nous sommes amis de qui ne nous est point ami, souvent même de qui nous est ennemi, quand nous aimons qui ne nous aime pas ou même qui nous hait, et que souvent aussi nous sommes ennemis de qui ne nous hait pas ou même de qui nous aime, quand nous haïssons qui ne nous hait pas ou que nous haïssons qui nous aime.

— Il y a apparence, dit-il.

— Que conclure donc, repris-je, si l’ami n’est ni celui qui aime, ni celui qui est aimé, ni celui qui est à la fois aimant et aimé.

— Y a-t-il en dehors de ces cas des personnes que nous puissions dire amies les unes des autres ?

— Par Zeus, Socrate, dit-il, tu me vois bien embarrassé.

— Ne serait-ce pas, dis-je, Ménexène, que nous avons tout à fait mal engagé notre recherche ?

— C’est mon avis, Socrate », s’écria Lysis, et en disant cela, il rougit. Il me sembla que le mot lui était échappé malgré lui, à cause de la grande attention qu’il avait à nos discours et qui se lisait sur son visage, tandis qu’il écoutait.

X. — Voulant donc donner du relâche à Ménexène, et charmé de voir en Lysis un tel amour de la philosophie, je changeai d’interlocuteur et m’adressant, à Lysis, je lui dis : « Je crois, Lysis, que tu as raison de dire que, si nous avions poussé notre recherche comme il faut, nous ne nous serions pas égarés comme nous l’avons fait. Quittons donc ce chemin ; pour moi en effet notre recherche est comme un chemin ardu. Celui qu’il faut suivre, ce me semble, est celui où nous nous sommes engagés en examinant ce que disent les poètes ; car les poètes sont, si je puis dire, les pères et les guides de la sagesse. Or ils expriment sans doute une pensée profonde,