Page:Œuvres complètes de Platon (Chambry), tome 1.djvu/494

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des Muses, comme il l’appelle lui-même. Il me semble en effet que, précisément en la personne de ce poète, le dieu a voulu nous prouver, de manière à ne laisser aucun doute, que ces beaux poèmes ne sont ni humains ni faits par des hommes, mais divins et faits par des dieux, et que les poètes ne sont que les interprètes des dieux, puisqu’ils sont possédés, quel que soit le dieu particulier qui les possède. Afin de le prouver, le dieu a choisi le poète le plus médiocre pour chanter par sa bouche le chant le plus beau. Ne penses-tu pas que j’ai raison, Ion ?

Ion

Si, par Zeus ; car tu me saisis l’âme par tes discours, Socrate, et je crois que c’est par une dispensation divine que les bons poètes sont auprès de nous les interprètes des dieux.

Socrate

VI. — Vous autres rhapsodes, à votre tour, n’êtes-vous pas les interprètes des poètes ?

Ion

En cela aussi tu as raison.

Socrate

Alors vous êtes des interprètes d’interprètes ?

Ion

Justement.

Socrate

Attention, maintenant, Ion ; réponds à la question que je vais te faire, et sois franc dans ta réponse. Quand tu déclames comme il faut des vers épiques et que tu touches profondément les spectateurs, soit que tu chantes Ulysse bondissant sur le seuil, se découvrant aux prétendants et versant les flèches à ses pieds, ou Achille s’élançant sur Hector, ou quelque passage émouvant sur Andromaque, Hécube ou Priam, es-tu alors maître de toi, ou es-tu hors de toi, et ton âme croit-elle, dans le transport de l’inspiration, assister aux actions dont tu parles, à Ithaque, ou à Troie, ou à tel autre endroit décrit dans les vers ?