Page:Œuvres complètes de Platon (Chambry), tome 1.djvu/493

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les poètes lyriques ne sont pas en possession d’eux-mêmes quand ils composent ces beaux chants que l’on connaît ; mais quand une fois ils sont entrés dans le mouvement de la musique et du rythme, ils sont transportés et possédés comme les bacchantes, qui puisent aux fleuves le lait et le miel sous l’influence de la possession, mais non quand elles sont de sang-froid. C’est le même délire qui agit dans l’âme des poètes lyriques, comme ils l’avouent eux-mêmes. Les poètes nous disent bien, en effet, qu’ils puisent à des sources de miel et butinent les poèmes qu’ils nous apportent dans les jardins et les vallons boisés des Muses, à la manière des abeilles, en voltigeant comme elles, et ils disent la vérité. Car le poète est chose légère, ailée, sacrée, et il ne peut créer avant de sentir l’inspiration, d’être hors de lui et de perdre l’usage de sa raison. Tant qu’il n a pas reçu ce don divin, tout homme est incapable de faire des vers et de rendre des oracles. Aussi, comme ce n’est point par art, mais par un don céleste qu’ils trouvent et disent tant de belles choses sur leur sujet, comme toi sur Homère, chacun d’eux ne peut réussir que dans le genre où la Muse le pousse, l’un dans les dithyrambes, l’autre dans les panégyriques, tel autre dans les hyporchèmes, celui-ci dans l’épopée, celui-là dans les ïambes. Dans les autres genres, chacun d’eux est médiocre, parce que ce n’est pas l’art, mais une force divine qui leur inspire leurs vers ; en effet, s’ils savaient traiter par art un sujet particulier, ils sauraient aussi traiter tous les autres. Et si le dieu leur ôte le sens et les prend pour ministres, comme il fait des prophètes et des devins inspirés, c’est pour que nous qui les écoutons sachions bien que ce n’est pas eux qui disent des choses si admirables, puisqu’ils sont hors de leur bon sens, mais que c’est le dieu même qui les dit et qui nous parle par leur bouche. Et la meilleure preuve de ce que j’avance est Tynnichos de Chalcis, qui n’a jamais fait d’autre poème digne d’être retenu que le péan que tout le monde chante, le plus beau peut-être de tous les chants lyriques, une vraie trouvaille