Page:Œuvres complètes de Platon (Chambry), tome 1.djvu/62

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

en sorte qu’il ne leur servait de rien de sacrifier et d’offrir des présents qui restaient sans effet, parce qu’ils étaient haïs des dieux ; car les dieux ne sont pas, j’imagine, gens à se laisser corrompre par des présents, comme un méchant usurier, et c’est une sottise de notre part, quand nous prétendons surpasser par là les Lacédémoniens. Il serait étrange en effet que les dieux eussent égard à nos présents et à nos sacrifices, et non à notre âme, pour distinguer ceux qui sont saints et justes. Non, c’est à l’âme, selon moi, qu’ils ont égard, beaucoup plus qu’à une procession et à ces sacrifices somptueux qu’un individu ou un État, chargé de crimes aussi bien envers les dieux qu’envers les hommes, peut fort bien offrir chaque année. Mais les dieux qui sont incorruptibles aux présents, méprisent tout cela, comme Ammon et le prophète des dieux le déclarent. En tout cas, il semble bien que chez les dieux et chez les hommes intelligents la justice et la sagesse soient particulièrement en honneur. Or il n’y a d’hommes sages et justes que ceux qui savent ce qu’il faut faire et dire dans leurs rapports avec les dieux et avec les hommes. Mais je voudrais savoir ce que tu penses sur tout cela.

ALCIBIADE

Moi, Socrate ? Mais je pense exactement comme toi et le dieu. Je serais d’ailleurs peu raisonnable de m’inscrire en faux contre le dieu.

SOCRATE

Te souviens-tu de m’avoir dit que tu étais fort embarrassé, de peur de demander aux dieux à ton insu des maux, en croyant demander des biens ?

ALCIBIADE

Oui.

SOCRATE

Tu vois donc qu’il n’y a pas de sûreté pour toi d’aller prier le dieu ; car il pourrait arriver que le dieu entendant ta prière impie n’agrée nullement ton sacrifice et que peut-être tu en retires encore un autre fruit. Aussi je