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Page:Œuvres complètes de Plutarque - Œuvres morales et œuvres diverses, tome 2, 1870.djvu/323

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DU TEMPLE DE DELPHES.

des des noms qui rappellent une idée de déchirement et de démembrement. Le Dieu est par eux nommé Dionysus, Zagrée, Nyctélius, Isodète. Ses consomptions, ses disparitions, ses morts, ses résurrections sont figurées par des noms énigmatiques et fabuleux qui ont de l’analogie avec ces diverses mutations. Ils chantent en l’honneur de Bacchus des vers dithyrambiques pleins de mouvements vifs, pleins de changements qui ressemblent à des écarts et à des digressions ; et comme l’a dit Eschyle :

Le dithyrambe aux voix confuses
Est le poëme dont les Muses
Fêtent le fils de Sémélé.

Mais en l’honneur d’Apollon ils chantent le Péan, genre de poésie réglé et sage. Dans les peintures et dans les images modelées ce dernier dieu est toujours reproduit brillant de la fleur d’une jeunesse immortelle. Bacchus, au contraire, est peint ou sculpté sous des formes diverses. En un mot, à l’un on attribue l’égalité, l’ordre, un sérieux que rien ne déconcerte ; à l’autre on prête une irrégularité singulière, où la plaisanterie, l’insolence, le sérieux, la folie se confondent ; on invoque Bacchus sous le nom d’Évius[1], on l’appelle « agitateur des bacchantes », « dieu courant après les honneurs[2] », et l’on se conforme, non sans raison, au double changement qui caractérise l’un et l’autre dieu. Mais comme la durée de ces changements périodiques n’est pas la même, comme l’une de ces révolutions, qu’ils appellent « satiété » est plus longue que celle qu’ils nomment « disette », il en résulte que, jaloux de suivre en cela une juste proportion, ils chantent le Péan tout le reste de l’année dans leurs sacrifices ; mais quand commence l’hiver le Péan cesse : c’est le dithyrambe qui s’éveille, et durant trois mois, au lieu d’Apollon, ils invoquent Bacchus. Ils pensent, en effet, que la durée du temps où tout est changé en feu, et

  1. Composé des deux cris Εὐ et Οἱ.
  2. Nous croyons qu’ici le texte est altéré ; et nous serions disposé à traduire d’après une variante : « Dieu qui court avec ses nourrices enivrées ».