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SUR LE ΕΙ

point. Mais si l’individu n’est plus le même, c’est, aussi, qu’il n’existe pas ; c’est qu’il subit des changements perpétuels ; c’est qu’il passe toujours d’un état à un autre. L’erreur vient de nos sens, qui, dans l’ignorance où nous sommes de ce qu’est véritablement l’être, nous font croire à la réalité de ce qui n’est qu’apparence.

19. « Quel est donc l’être véritable ? C’est celui qui existe de toute éternité, qui n’a pas eu de commencement, qui n’aura pas de fin ; celui à qui nulle accession du temps ne fait subir la moindre vicissitude. En effet, c’est quelque chose de mobile que le temps ; on s’en fait une idée, si on le compare à une matière qui se meut. Il coule sans cesse, il ne peut rien retenir ; c’est comme un vase[1] où s’élaborent et la destruction et la naissance. Une preuve de la non-existence du temps, ce sont les mots mêmes sous lesquels on le désigne, à savoir : « ensuite », « auparavant », « futur », « passé ». Car, dire que ce qui n’est pas encore né se trouve dans ce qui est, que ce qui n’est plus fait partie de ce qui est, constituerait une niaiserie et une absurdité. Lorsque pour fixer mieux l’idée du temps, nous employons les mots, « présentement », « actuellement », « maintenant », notre raison aussitôt reconnaît que le temps nous échappe et s’anéantit. Le présent en effet est comme étreint entre le futur et le passé. C’est une lumière instantanée, qui se dissipe nécessairement lors qu’on vient à y fixer ses regards. Or si la nature, qui se mesure par le temps, est dans les mêmes conditions que ce qui la mesure, il n’y a rien en elle qui soit permanent, rien qui existe : tout y naît, tout y meurt en suivant le flot du temps. C’est pour cela qu’il y aurait impiété à dire de l’être véritable, « qu’il a été » ou « qu’il sera » : ce sont là des modifications, des vicissitudes, des altérations subies par ce qui n’est pas fait pour persévérer dans l’existence.

20. « L’être existant, c’est Dieu : voilà comme on doit dire ; et Dieu n’existe dans aucun point limité du temps. Il occupe l’éternité entière, qui est immuable, qui ne connaît ni suc-

  1. Amyot : « comme le vaisseau percé ».