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DU TEMPLE DE DELPHES.

substance mortelle. La promptitude et la rapidité des changements désunit les molécules, les rapproche de nouveau ; ou plutôt, il n’y a ni renouvellement, ni temps postérieur, mais simultanéité constante entre la cohésion et la dissolution, entre le fait de paraître et celui de disparaître. Aussi, ce qu’il y a de vivant dans la matière ne parvient jamais à un état qui soit l’existence, parce que jamais l’existence ne cesse, parce que jamais elle ne se complète. C’est un germe qui se modifie toujours : elle est successivement embryon, nourrisson à la mamelle, adolescent, jeune homme ; puis viennent l’âge viril, la vieillesse, la décrépitude. Une nouvelle forme d’existence, une nouvelle phase de l’âge détruit celles qui ont précédé. Et pourtant nous ne redoutons qu’une seule mort. N’est-ce pas ridicule, quand nous en avons subi, quand nous en subissons un si grand nombre d’autres ? Ce n’est pas seulement pour le feu qu’il y a mort par la naissance de l’air, et pour l’air par la naissance de l’eau, comme disait Héraclite ; mais cette vérité se reconnaît bien plus évidemment encore sur nous-mêmes. En effet, l’homme mûr a disparu quand naît le vieillard ; l’adolescent s’était anéanti pour laisser place à l’homme ; l’enfant, pour faire place à l’adolescent ; le nourrisson dans le maillot, pour faire place à l’enfant. L’homme d’hier est mort aujourd’hui, celui d’aujourd’hui sera mort demain. Il n’y a personne de nous qui subsiste, qui soit un : nous naissons multiples, la matière circulant et glissant autour d’un type et d’un moule commun. Car enfin, comment se fait-il, si nous restons les mêmes, que telles choses nous plaisent aujourd’hui, que telles autres nous aient plu précédemment ? Pourquoi des objets contraires excitent-ils tour à tour notre attachement, notre haine, notre admiration, notre blâme ? Pourquoi ne tenons-nous plus les mêmes discours ? Pourquoi n’éprouvons-nous plus les mêmes affections ? Enfin pourquoi, par l’extérieur, la figure, les pensées, ne conservons-nous rien de semblable ? On ne saurait admettre qu’une diversité dans la manière d’être puisse se produire sans qu’il y ait changement : or là où il y a changement, l’identité ne se conserve