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SUR LE ΕΙ

qu’un, il y a lieu de les accueillir et de les aimer à cause de la bonté de leur esprit, parce qu’ils appliquent l’idée de la divinité à ce qu’ils honorent et à ce qu’ils désirent le plus parmi les objets d’eux connus. Mais nous, afin de rêver sur le compte de ce Dieu comme dans le plus beau des songes, donnons l’essor à notre imagination, excitons-la à prendre son vol dans les régions supérieures, et à contempler au-dessus de nous l’essence suprême. Toutefois, honorons aussi cette image même sous laquelle le Dieu nous apparaît. Révélons dans le soleil la fécondité créatrice (autant qu’une substance sensible peut produire les effets d’un pur esprit, autant que ce qui passe peut réaliser les effets de ce qui dure éternellement). Voyons dans cette image une sorte d’expression, un simulacre de la bienveillance et de la félicité qui brillent et rayonnent autour du Dieu. Quant aux émanations qui échappent de lui, quant à ses changements lorsqu’il lance le feu et se contracte ensuite, comme disent quelques-uns ; lors qu’il se condense ; lorsqu’il devient terre, mer, vents, animal, végétal ; lorsqu’il subit les graves vicissitudes de ces deux dernières classes d’êtres, c’est une impiété de prêter l’oreille à de telles suppositions, ou bien le Dieu serait alors[1] au-dessous de l’enfant, dont parle le poëte, de l’enfant qui s’amuse à élever en jouant de petits monticules sur le sable pour les renverser ensuite. Oui, le Dieu, alors, en agirait constamment de même pour l’ensemble de l’univers : après avoir créé un monde qui n’existait pas, il le détruirait aussitôt qu’il l’aurait composé. Au contraire, tout ce que Dieu a mis dans le monde en lie étroitement les diverses substances[2], et maintient avec succès cette matière fragile qui tend à se détruire. C’est surtout contre la précédente opinion que me semble concluant et décisif le mot dont on salue la divinité, le mot ΕΙ[3] : lequel indique que jamais Dieu n’est sorti hors de lui-même, que jamais il n’a éprouvé de changement. Ce n’est

  1. Reiske entend : « ou bien celui qui acceptera de semblables discours sera au-dessous, etc. » Cette conjecture peut bien être la vraie.
  2. Amyot : « Tout ce qui vient à naître, c’est Dieu qui l’y entretient ». Ce n’est pas probable.
  3. Amyot ajoute encore ici : « c’est-à-dire, tu es ».