Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/102

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tat ; mais, dès que les esprits furent affranchis de cette terreur salutaire, l’orgueil et la mollesse, compagnes ordinaires de la prospérité, s’introduisirent aussitôt dans Rome. Ainsi ce qu’on avait tant désiré aux jours d’infortune, le repos, devint, quand on l’eut obtenu, plus rude et plus amer que l’adversité même. On vit désormais la noblesse abuser sans mesure de sa prééminence, le peuple de sa liberté ; chacun attirer à soi, em piéter, envahir ; et la république, placée entre deux factions contraires, fut misérablement déchirée.

Toutefois la noblesse, groupée en une seule faction, eut l’avantage, et le peuple, dont la force était désunie, dispersée dans la masse, perdit sa puissance. Le caprice de quelques individus décida toutes les affaires au dedans et au dehors : pour eux seuls étaient la fortune publique, les provinces, les magistratures, les distinctions et les triomphes ; au peuple étaient réservés le service militaire et l’indigence. Le butin fait à l’armée devenait la proie des généraux et de quelques favoris. Les parents, les jeunes enfants des soldats, avaient-ils quelque voisin puissant (30), on les chassait de leurs foyers. Armée du pouvoir, une cupidité sans frein et sans bornes usurpa, profana, dépeupla tout ; rien ne fut épargné, rien ne fut respecté, jusqu’à ce que cette noblesse elle-même eut creusé l’abîme qui devait l’engloutir. En effet, dès qu’il s’éleva du sein de la noblesse (31) quelques hommes qui préféraient une gloire véritable à la domination la plus injuste, il y eut ébranlement dans l’État, et l’on vit naître des dissensions civiles semblables aux grandes commotions qui bouleversent la terre.