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Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/14

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sentiment de son éternité. Aussi, des les premiers temps, s’occupa-t-elle de fixer, par quelques monuments grossiers mais solides, livres auguraux, livres des auspices, livres lintéens, livres des magistrats, livres pontificaux[1], le souvenir des événements qui la devaient conduire à la conquête du monde : elle gravait son histoire naissante sur la pierre des tombeaux et sur l’airain des temples. Quand les lettres commencèrent à pénétrer dans l’Italie, le génie romain s’éveilla tout d’abord à l’histoire. Une première génération d’historiens parut. Mais alors il se produisit un fait assez singulier et qui pourrait nous surprendre, si nous n’avions dans notre littérature un fait analogue. Les premiers historiens de Rome, Fabius Pictor, Lucius Cincius et plusieurs autres écrivirent en grec[2] ; c’est ainsi que chez nous longtemps l’histoire s’écrivit en latin, et cela non seulement au moyen âge, mais au seizième siècle même, quand nous avions eu les Villehardoin, les Joinville, les Froissart. Il ne faut pas s’en étonner : une langue, alors même qu’elle parait formée, n’est pas propre encore à porter le poids de l’histoire ; sa jeunesse peut convenir aux chroniques, aux mémoires ; il faut pour l’histoire sa maturité. Caton l’Ancien inaugura pour la littérature romaine cette ère de l’histoire nationale, écrite en latin avec quelque éclat, comme il avait inauguré celle de l’éloquence. Sur les traces de Caton parurent L. Calpurnius Piso, C. Fannius, L. Cœlius Antipater, faibles et maigres annalistes plutôt qu’historiens, et que Cicéron estimait médiocrement[3]. Au temps de Sylla, il se fit dans l’histoire, comme dans le reste de la littérature, un mouvement remarquable, une espèce d’émancipation. Écrite jusque-là par des patriciens ou du moins par des hommes libres, elle le fut pour la première fois par un affranchi, L. Otacilius

  1. M. Vict. le Clerc, Des journaux chez les Romains.
  2. Justin, Préface.
  3. De Legibus, 1, 2.