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CONJURATION DE CATILINA.

tre le vœu de la nature, le corps fut une source de plaisirs et l’âme un fardeau. Pour moi, je ne mets pas de différence entre leur vie et leur mort, puisque l’une et l’autre sont vouées à l’oubli (5). En un mot, celui-là seul me paraît vivre réellement et jouir de son existence, qui, adonné à un travail quelconque cherche à se faire un nom par de belles actions ou par des talents estimables. Et dans la variété infinie des choses humaines la nature indique à chacun la route qu’il doit suivre.

III. Il est beau de bien servir sa patrie ; mais le mérite de bien dire n’est pas non plus à dédaigner. Dans la paix comme dans la guerre on peut se rendre illustre, et ceux qui font de belles actions, comme ceux qui les écrivent, obtiennent des louanges. Or, selon moi, bien qu’il ne revienne pas à l’historien la même gloire qu’à son héros, sa tâche n’en est pas moins fort difficile. D’abord, le récit doit répondre à la grandeur des actions : ensuite, si vous relevez quelque faute, la plupart des lecteurs taxent vos paroles d’envie et de malveillance ; puis, quand vous retracez les hautes vertus et la gloire des bons citoyens, chacun n’accueille avec plaisir que ce qu’il se juge en état de faire : au delà, il ne voit qu’exagération et mensonge (6).

Pour moi, très jeune encore, mon goût me porta, comme tant d’autres, vers les emplois publics ; et, dans cette carrière, je rencontrai beaucoup d’obstacles. Au lieu de la pudeur, du désintéressement, du mérite, régnaient l’audace, la corruption, l’avarice. Bien que mon âme eût horreur de ces excès, auxquels elle était étrangère, c’était cependant au milieu de tant de désordres que ma faible jeunesse, séduite par l’am-