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CONJURATION DE CATILINA

s’être permis d’abandonner leur drapeau ou de céder du terrain à un ennemi victorieux. Dans la paix ils faisaient sentir leur autorité plutôt par des bienfaits que par la crainte ; offensés, ils aimaient mieux pardonner que punir (23).

X. Mais, une fois que, par son énergie et son équité, la république se fut agrandie ; qu’elle eut vaincu des rois puissants, subjugué des nations farouches et de grands peuples ; que Carthage, rivale de l’empire romain (24), eut péri sans retour, que toutes les mers nous furent ouvertes, la fortune ennemie commença à se montrer cruelle, à tout troubler. Les mêmes hommes qui avaient supporté sans peine les travaux, les dangers, l’incertitude et la rigueur des événements ne trouvèrent dans le repos et dans les richesses, objets d’envie pour les autres, qu’embarras et misère. D’abord s’accrut la soif de l’or, puis celle du pouvoir : telle fut la source de tous les maux. L’avarice, en effet, étouffa la bonne foi, la probité et toutes les autres vertus ; à leur place elle inspira l’orgueil, la cruauté, l’oubli des dieux, la vénalité. L’ambition força nombre d’hommes à la fausseté, leur apprit à renfermer leur pensée dans leur cœur, pour en exprimer une autre par leur langage, à régler leurs amitiés ou leurs haines, non sur leurs sentiments, mais sur leurs intérêts, et à porter la bienveillance moins dans le cœur que sur le visage. Ces vices ne firent d’abord que de faibles progrès, et furent quelquefois punis. Bientôt, lorsque la contagion, semblable à la peste, eut partout fait invasion, un changement s’opéra dans la république : son gouvernement, si juste et si parfait, devint cruel et intolérable.