Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/24

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lement le goût, il ment encore à la vérité, et veut se donner le masque de vertus qu’il n’a pas ; comme Sénèque, qui écrivait sur la pauvreté avec un stylet d’or, il prêche la morale au milieu des richesses, fruit de ses déprédations. Sans doute mieux vaut quand l’exemple vient à l’appui du précepte ; mais de ce qu’un homme qui n’est pas précisément vertueux préconise la vertu, de ce qu’un concussionnaire loue la pauvreté, faut-il conclure nécessairement que ses éloges sont une hypocrisie ? ne serait-il pas aussi juste d’y voir un hommage rendu à la vertu, au désintéressement, une expiation morale en quelque sorte, au lieu d’un mensonge, l’aveu que si l’on n’a pas fait le bien, on en sent le prix et la beauté ? Hélas ! les hommes sont moins méchants qu’ils ne sont faibles, moins fourbes qu’ils ne sont inconséquents ; le :

Video meliora proboque,
Deteriora sequor,

C’est à tous, plus ou moins, notre devise ; c’était celle de Salluste : « Il louait dans les autres ce qu’on ne pouvait louer en lui. En s’éloignant de la pratique de la vertu, il en conservait le souvenir et l’estime, et il n’était pas du moins arrive à l’excès de dérèglement ou tombent ceux qui, non seulement suivent le vice, mais l’approuvent et le louent [1]. »

D’ailleurs, qu’on y fasse attention : de quoi est-il question dans le préambule de Jugurtha ? est-ce bien précisément un lieu commun de morale qu’y développe Salluste ? Non ; c’est encore un retour sur lui-même ; il y expose simplement cette thèse : que l’intelligence est supérieure au corps, que les dons de l’esprit et de l’âme valent mieux, sont plus durables que les jouissances matérielles. Eh ! mon Dieu ! après tout Salluste ne dit guère la que ce qu’il éprouvait, ce

  1. Saint-Evremont, Observations sur Salluste et sur Tacite.