Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/336

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J’ai souvent entendu citer les rois, les villes, les nations, auxquels leur opulence a fait perdre de grands empires acquis par leur courage au temps de la pauvreté. Et cela n’a rien d’étonnant : car, dès que l’homme de bien voit le méchant, à cause de ses richesses, plus honoré, mieux accueilli que lui, il s’indigne d’abord, puis il roule mille pensées dans son cœur ; mais, si l’orgueil l’emporte toujours de plus en plus sur l’honneur, et l’opulence sur la vertu, il perd courage et quitte les vrais biens pour la volupté. La gloire, en effet, est l’aliment de l’activité ; et, si vous la retranchez(16), la vertu toute seule est, par elle-même, pénible et amère. Enfin, là où les richesses sont en honneur, tous les biens véritables sont avilis, la bonne foi, la probité, la pudeur, la chasteté : car, pour arriver à la vertu, il n’est qu’un chemin toujours rude ; mais chacun court à la fortune par où il lui plaît, elle s’obtient indifféremment par de bonnes ou de mauvaises voies. Commencez donc par renverser la puissance de l’or ; que le plus ou le moins de fortune ne donne point, n’ôte point le droit de prononcer sur la vie, sur l’honneur des citoyens, comme aussi que la préture, le consulat, soient accordés, non d’après l’opulence, mais d’après le mérite : on peut s’en rapporter au peuple pour juger les magistrats qu’il doit élire. Laisser la nomination des juges au petit nombre, c’est du despotisme ; les choisir d’après la fortune, c’est de l’injustice. Tous les citoyens de la première classe doivent donc être appelés aux fonctions de juge, mais en plus grand nombre qu’ils n’y sont admis aujourd’hui. Jamais les Rhodiens, ni bien d’autres cités, n’ont eu à se repentir de la composition de leurs tribunaux, où, sans distinction et d’a-