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Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/42

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ce qui peut faire briller ou couvrir ce talent de peindre qu’il possède au suprême degré : c’est le défaut de quelques-uns de ces portraits qu’il aime à tracer, morceaux d’apparat quelquefois plus que vivantes et fidèles images : historien, en qui l’écrivain ne disparaît pas toujours assez.

Sa narration, si rapide, si vive, si pittoresque, n’est pourtant pas à l’abri de toute critique. Salluste a le tour vif, l’expression rapide, l’allure fort dégagée en apparence ; mais, regardez-y de près, il n’avance pas autant qu’il se hâte ; ce qu’il ne dit pas sans beaucoup de peine en une suite de petites phrases brusques, saccadées, monotones et fatigantes par l’emploi excessif de l’infinitif de narration, Tite-Live vous le dira avec plus de charme et même plus de précision, dans une de ces magnifiques périodes où, sans rien précipiter, sans rien laisser en arrière, la pensée entraîne avec elle dans son cours limpide et majestueux toutes les incises qui la complètent.

Malgré ces défauts, Salluste est un écrivain incomparable. Son style a une suprême beauté de vigueur et d’éclat, de hardiesse et d’aisance, de sève, abondante quoique contenue ; il a de ces mots qui illuminent toute une pensée, de ces traits qui éclairent toute une figure. Quoique colorées, ses expressions sont limpides et transparentes : sous les mots, on aperçoit les idées. C’est le propre, en effet, de cette intelligence fine, de cette raison élevée, de tout saisir d’une vue nette et de tout montrer sous une vive lumière ; tant cette même clarté qui resplendit dans son esprit, qui a conservé en lui, au milieu de ses vices, le sens du beau et de la vertu, lui révèle, avec une prompte et infaillible pénétration, les humeurs diverses des personnages, leurs intérêts, leurs passions ! Entre les différents mobiles qui peuvent décider le cœur humain, et qui souvent s’y combattent, il ne cherche pas, il n’interprète pas comme Tacite. Dans les ressorts si compliqués de l’âme, il saisit sur-le-champ, il montre celui