Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/43

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qui la met en jeu, au moment ou il la peint. La sûreté de son coup d’œil ne nous trompe et ne le trompe jamais : c’est un moraliste, comme Tacite, mais sans amertume ; il ne peint les hommes ni pires ni meilleurs, mais tels qu’ils sont ; ayant retiré de son expérience des affaires ce fruit qui est ordinairement le résultat de la vertu, la tolérance. En un mot, historien dramatique, politique profond, grand écrivain malgré quelques taches, tel est Salluste.

Salluste est-il supérieur ou inférieur à Tite-Live ? est-il au-dessus ou au-dessous de Tacite ? Si nous ne suivions que notre goût particulier ; si nous ne considérons que la pureté du style, la beauté de l’éloquence, le cours limpide et abondant de la narration, peut-être donnerions-nous la préférence à Tite-Live ; à Tacite, si nous ne faisions attention qu’a la profondeur de la pensée, au pittoresque de l’expression, à l’âme sympathique de l’historien : sans oublier toutefois que Salluste est souvent aussi énergique et aussi concis que Tacite, sans être aussi tourmenté ; aussi éclatant, aussi riche, quoique plus tempéré que Tite-Live et plus sobre. Mais, adoptant sur les trois historiens latins ce qu’un rhéteur a dit seulement de Tite-Live et de Tacite, nous aimons mieux reconnaître qu’ils sont « plutôt égaux que semblables [1], » et, comme on l’a heureusement exprime, « les admirer tous ensemble que leur chercher des rangs. »

Maintenant comparerons-nous les historiens latins aux historiens grecs et déclarerons-nous les uns supérieurs aux autres ? Assurément, nul plus que moi n’aime Tite-Live ; nul n’est plus charmé de cette limpidité brillante, de cette abondance si choisie, de cette imagination si pittoresque : si j’avais un faible, je serais, avec la Harpe, pour l’historien de la république romaine. Mais qu’il m’en coûterait de lui sacrifier

  1. Nam mihi egregie dixisse videtur Servilius Novianus, pares esse magis quam similes. Quintil., lib X, c. 1.