Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/45

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Il n’en est pas ainsi des historiens latins Salluste, Tite-Live même, Tacite, écrivent sous une impression pénible et avec une préoccupation douloureuse. Comme Thucydide, Salluste voit la corruption de ses concitoyens, mais il la voit irrémédiable : « Deux vices opposés, dit-il, l’avarice et la débauche, éteignent en nous tout ce qu’il y avait dans nos aïeux de bon et d’énergique, et nous ne nous arrêterons plus sur cette pente rapide. » Tite-Live lui-même, qui, en écrivant L’histoire des premiers temps de Rome, s’en faisait contemporain par le cœur et par l’imagination : mihi vetustas res scribenti, nescio quo pacto antiquus fit animus[1], Tite-Live finit pourtant par être atteint de découragement ; et il laissera, lui le Pompéien, échapper ces mots, qui sont presque l’excuse de César : « Nous sommes arrivés au point ou nous ne pouvons plus ni souffrir nos maux ni en supporter le remède. » Et Tacite ! ah ! celui-là, c’est la douleur même ; cette république que Tite-Live avait du moins entrevue, elle est pour Tacite l’objet d’un inconsolable regret. Aussi quelle amertume dans ses plaintes : « Un long esclavage a tellement étouffé en nous tous les nobles sentiments, que nous ne savons plus faire usage de la liberté qu’on nous offre ; nous avons fini par aimer l’inaction à laquelle d’abord nous ne nous résignions qu’en frémissant ! » Aussi, quelque ardent que soit son culte pour les anciennes vertus, quelque puissante que soit son imagination pour les ressusciter et les peindre, ne peut-il échapper aux impressions de la réalité ; le contraste des temps qu’il regrette et de ceux qu’il est obligé de raconter frappe cruellement son esprit, et des réflexions tristes ou chagrines, des soupirs douloureux, viennent parfois interrompre le récit impassible de l’historien.

Ainsi l’histoire romaine n’a rien du calme, de la sérénité,

  1. L XLIII, 13.