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SALLUSTE.

redouter ni violence ni guerre. Il me laisse, comme vous voyez, dénué de tout, couvert d’humiliation, et réduit à me trouver plus en sûreté partout ailleurs que dans mes États.

J’avais toujours pensé, sénateurs, et mon père me l’a souvent répété, que ceux qui cultivaient avec soin votre amitié s’imposaient de pénibles devoirs, mais que d’ailleurs ils étaient à l’abri de toute espèce de danger (9). Ma famille, autant qu’il fut en son pouvoir, vous a servis dans toutes vos guerres ; maintenant que vous êtes en paix, c’est à vous, sénateurs, à pourvoir à notre sûreté. Nous étions deux frères ; mon père nous en donna un troisième dans Jugurtha, croyant nous l’attacher par ses bienfaits. L’un de nous deux est mort assassiné ; l’autre, qui est devant vos yeux, n’a échappé qu’avec peine à ses mains fratricides. Hélas ! que me reste-t-il à faire ? à qui recourir de préférence dans mon malheur ? Tous les appuis de ma famille sont anéantis. Mon père a payé son tribut à la nature ; mon frère a succombé victime d’un parent cruel qui devait plus qu’un autre épargner sa vie ; mes alliés, mes amis, tous mes parents enfin, ont subi chacun des tourments divers. Prisonniers de Jugurtha, les uns ont été mis en croix, les autres livrés aux bêtes ; quelques-uns, qu’on laisse vivre, traînent au fond de noirs cachots, dans le deuil et le désespoir, une vie plus affreuse que la mort. Quand je conserverais encore tout ce que j’ai perdu, quand mes appuis naturels ne se seraient pas tournés contre moi, si quelque malheur imprévu était venu fondre sur ma tête, ce serait encore vous que j’implorerais, sénateurs, vous à qui la majesté de votre empire fait un devoir de maintenir partout le bon droit et de réprimer l’in-