Page:Œuvres complettes de M. de Marivaux, tome 12, 1781.djvu/33

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pas été votre maître ; n’y a-t-il point de danger que vous le soyez aujourd’hui ? ne vous défiez-vous pas de l’extrême envie que vous avez de l’être ? Votre raison a fait du progrès sans doute, mais prenez-garde : quand on est si impatient d’être défait de son Gouverneur, ne seroit-ce pas signe qu’on a encore besoin de lui, qu’on n’est pas encore aussi raisonnable qu’on devroit l’être ? car si on l’étoit, ce Gouverneur ne seroit plus si incommode ; il ne gêneroit plus, on seroit toujours d’accord avec lui ; il ne feroit plus que tenir compagnie ; qu’en pensez-vous ?

THÉODOSE.

Je rêve à votre réflexion.

THÉOPHILE.

Il n’en est pas de vous comme d’un particulier de votre âge ; votre liberté tire à bien d’autres conséquences, on sçaura bien empêcher ce particulier d’abuser long-temps & à un certain point, de la sienne ; mais qui est-ce qui vous empêchera d’abuser de la vôtre ? qui est-ce qui la réduira à de justes bornes ? quels secours aura-t-on contre vous, que vos vertus, votre raison, vos lumieres ? & quoiqu’aujourd’hui vous ayez de tout cela, êtes-vous sûr d’en avoir assez pour ne pas