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LIVRE PREMIER.

de pénétrer dans la nature intime des choses et de saisir la vérité ! C’est ce dont on sera encore mieux convaincu en comparant sa philosophie avec la plupart de celles qui furent célébrés chez les Grecs car du moins l’on trouve dans ces dernières des hypothèses plus supportables, telles que les homéoméries d’Anaxagore, les atomes de Leucippe et de Démocrite, le ciel et la terre de Parménide, la discorde et l’amitié d’Empédocle, la résolution des corps dans la nature indifférente du feu, et leur retour à l’état de corps dense, comme le veut Héraclite[1]. Or, dans toutes ces opinions-là on voit une certaine teinte de physique, on y reconnaît quelque peu de la nature et de l’expérience, cela sans le corps et la matière, au lieu que la physique d’Aristote n’est qu’un fracas de termes de dialectique, et cette dialectique, il l’a remaniée dans sa métaphysique sous un nom plus imposant et pour paraître s’attacher plus aux choses mêmes qu’à leurs noms. Que si dans ses livres sur les animaux, dans ses Problèmes et dans quelques autres traités, il est souvent question de l’expérience, il ne faut pas s’en laisser imposer par le petit nombre de faits qu’on y trouve ; ses opinions étaient fixées d’avance. Et ne croyez pas qu’il eût commencé par consulter l’expérience, comme il l’aurait dû, pour établir ensuite ses principes et ses décisions ; mais au contraire, après avoir tendu arbitrairement ses décrets, il tord l’expérience, il la moule sur ses opinions et l’en rend esclave, en sorte qu’à ce titre il mérite encore plus de reproches que ses modernes sectateurs je veux parler des scolastiques, qui ont entièrement abandonné l’expérience.

LXIV. Mais la philosophie empirique enfante des opinions encore plus étranges et plus monstrueuses que la philosophie raisonneuse et sophistique, car ce n’est rien moins qu’à la lumière des notions vulgaires qu’elle ose marcher, lumière qui, toute faible et toute superficielle qu’elle est, ne laisse pas d’être en quelque manière universelle, et d’éclairer un grand nombre d’objets, ce n’est pas, dis-je, sur ce fondement assez solide qu’elle s’établit, mais sur la base étroite d’un petit nombre d’expériences, et telle est la faible lueur dont elle se contente. Aussi ce genre de systèmes qui semblent si probables et si approchant de la certitude a ceux qui rebattent continuellement ce petit nombre d’expériences qui les appuient, et qui en ont l’imagination frappée, paraissent-ils a tout autre incroyables et vides de sens. C’est ce dont on voit un exemple

  1. « Héraclite, dit Lassalle, pensait que la matière, qui forme pour ainsi dire le fond de l’univers, est indifférente à telle ou à telle forme, et est susceptible de toutes, que, selon qu’elle est plus rare ou plus dense, elle devient feu, air, eau, terre et reprend ensuite les formes qu’elle a quittées. Il lui donne le nom de feu. »