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Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/267

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autrement, car le vrai principe du rire et du ridicule est l’absurdité et le défaut de convenance, or qui heurte plus fréquemment toutes les lois de la convenance qu’un homme audacieux et impudent ? Rien surtout n’est plus ridicule qu’un effronté de cette espèce lorsqu’il perd toute contenance, son visage alors se démonte tout à fait et devient extrêmement difforme, ce qui n’est nullement étonnant, car dans la honte ordinaire les esprits ne sont qu’un peu agités, au lieu que dans celle d’un effronté il reste tout à fait immobile, et il est aussi interdit qu’un joueur d’échecs qu’on vient de faire échec et mat au milieu de ses pièces. Dernière observation toutefois qui conviendrait mieux à une satire qu’à un traité aussi sérieux que celui-ci.

Mais une observation qu’on ne doit pas oublier, c’est que l’audace, elle ne connaît ni périls ni inconvénients et en conséquence, elle est très dangereuse dans une délibération et n’est utile que dans l’exécution. Ainsi ces audacieux ne sont bons qu’en second et ne valent rien dans les premiers rôles, car tant qu’on délibère il est bon de voir les dangers, mais dans l’exécution il faut les perdre de vue, à moins qu’ils ne soient très imminents.

XIII. — De la bonté, soit naturelle, soit acquise.

J’entends par ce mot de bonté une affection ou un sentiment qui nous porte à souhaiter que nos semblables soient heureux, et qui a pour objet le bien général de l’humanité. C’est ce que les Grecs appelaient philanthropie, car le terme d’humanité, qu’on y a substitué dans les langues modernes, n’a ni une signification assez étendue, ni assez de force pour rendre mon idée. J’appelle simplement bonté l’habitude de faire du bien, et bonté naturelle l’inclination ou le penchant à en faire. C’est la plus noble faculté de l’âme humaine et la plus grande des vertus, elle assimile l’homme à la divinité dont elle est le principal attribut. La bonté morale répond à la charité chrétienne et n’est pas susceptible d’excès, mais seulement d’erreur et de mépris par rapport à son objet. C’est une ambition excessive qui a causé la chute des anges, et un désir excessif de savoir qui a causé celle de l’Homme, mais dans la charité il ne peut y avoir d’excès, car jamais ange ni homme ne peut courir de risques en s’y livrant tout entier. L’inclination à faire du bien la bonté dispositive est si profondément enracinée dans la nature humaine, que, lorsqu’elle ne s’exerce point envers les hommes, elle s’exerce envers les animaux comme on en voit des exemples parmi les Turcs, peuple qui, bien que cruel, pousse