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ESSAIS DE MORALE ET DE POLITIQUE

richesses affluent dans le pays. Quelquefois, suivant l’expression du poète, la façon, et en général le travail, a plus de prix que la matière, je veux dire que le prix de la main-d’œuvre ou du transport excède souvent celui de la matière première, et enrichit plus promptement un État. C’est ce dont nous voyons un exemple frappant dans les habitants des Pays-Bas, dont les mines les plus riches sont au-dessus de la surface de la terre, et qui, par leur industrie, l’emportent sur toutes les autres nations
Le gouvernement doit surtout prendre des mesures pour empêcher que tout l’argent comptant du pays ne s’accumule dans un petit nombre de mains, autrement un État pourrait mourir de faim au sein de l’abondance, l’argent, ainsi que le fumier, ne fructifiant qu’autant qu’on a soin de le répandre, but auquel on parviendra en étouffant, ou du moins en réprimant ces trois monstres dévorants, l’usure, le monopole, et la manie de convertir en pâturages les champs à grain, etc.

Quant aux moyens de calmer les esprits et d’apaiser le mécontentement général, ou du moins d’en prévenir les plus dangereuses conséquences, nous observerons d’abord que chaque État est composé de deux principales classes, savoir la noblesse, et les roturiers qui forment le plus grand nombre. Quand un seul de ces deux ordres est mécontent, le danger n’est pas fort grand, les mouvements du peuple étant toujours lents et de très-courte durée lorsqu’il n’est pas poussé et dirigé par les grands, et les grands ne pouvant presque rien en ce genre si la multitude n’est disposée à se soulever d’elle-même. Mais lorsque les grands n’attendent que le mouvement de l’insurrection spontanée du bas peuple pour se déclarer eux-mêmes, c’est alors que le danger est vraiment imminent Jupiter, dit la fable, ayant appris que les dieux avaient formé le projet de le lier, se determina, d’après le conseil de Pallas, à appeler à son secours Briaree aux cent bras, allegorie dont le vrai but, comme on n’en peut douter, est de montrer aux rois combien il leur importe de ménager le peuple et de n’épargner aucun soin pour gagner son affection.

Laisser à un peuple la liberté de se plaindre et d’exhaler sa mauvaise humeur (pourvu toutefois que ces plaintes ne soient pas poussées jusqu’a l'insolence et à la menace) est encore un ménagement salutaire, car si vous repercutez les humeurs vicieuses et déterminez le sang de la blessure a couler au dedans, vous y occasionnerez des ulceres malins et de mortels aposthumes.

Il est encore un autre moyen pour ramener les esprits lorsqu’ils sont aliénés et pour assoupir les mécontentements c’est de faire