Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/282

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leur naissance, comme les poètes le disent de Saturne ». Et comme la superstition est plus injurieuse à Dieu que l’irréligion, elle est aussi plus dangereuse pour l'homme l’athéisme du moins lui laisse encore beaucoup d’appuis et de guides, tels que la philosophie, les sentiments de tendresse qu'inspirent la nature même, les lois, l'amour de la gloire, le désir d’une bonne réputation, toutes choses qui suffiraient pour le conduire à un certain degré de vertu morale, du moins extérieure, en supposant même qu'il soit tout-à-fait sans religion, au lieu que la superstition renverse tout ces appuis et établit dans les âmes humaines un vrai despotisme. Aussi l’athéisme n'a-t-il jamais troublé la paix des empires, car il rend les individus très prudents par rapport à ce qui les regarde eux-mêmes, et fait qu’ils ne s’occupent que de leur propre sûreté sans s’embarrasser de tout le reste. Nous voyons aussi que les temps les plus enclins à l’athéisme sont les temps de paix et de tranquillité, tels que celui d’Auguste, au lieu que la superstition a bouleversé plusieurs États en y introduisant un nouveau premier mobile qui, en imprimant son mouvement violent a toutes les sphères du gouvernement, démontait tout le système politique. Le plus habile maître en fait de superstition, c’est le peuple, car, dans tout ce qui tient aux opinions de cette nature, les sages sont forces de céder aux fous, et en renversant l'ordre naturel on ajuste tous les raisonnements aux usages établis. On peut regarder comme une observation très judicieuse celle que firent à ce sujet certains prélats du concile de Trente, assemblée la théologie scolastique joua le premier rôle. Les astronomes, disaient-ils, ont imaginé des excentriques, des épicycles, des orbites et autres machines pour expliquer les phénomènes célestes, quoiqu’ils sussent fort bien que rien de tout cela n’existait réellement. Les scolastiques, à leur exemple, ont inventé des principes très subtils, et des théorèmes fort compliqués, pour motiver ou expliquer la pratique et les usages de l'Église.

Les causes les plus ordinaires de la superstition sont les rites et les cérémonies destinés à flatter la vue et les autres sons, l’affectation de sainteté tout extérieure et toute prosaïque, une vénération excessive pour les traditions, ce qui surcharge et complique d’autant la doctrine de l’Église, le manège des prélats pour augmenter leurs richesses et leurs prérogatives, trop de facilité à se prêter aux bonnes intentions et aux vues pieuses, ce qui donne entrée aux innovations dans la doctrine et la discipline, la manie d'attribuer à la divinité les nécessités, les facultés et les passions humaines en assimilant Dieu à l’homme, ce qui mêle à la vraie